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Aussitôt, je suis entouré d’une bande de furieux qui m’invectivent, me menacent, me montrent le poing ; mais quelque chose qui est en moi, plus fort que moi, me pousse et me fait aller de plus belle en plus belle. Alors, eux qui tout à l’heure voulaient me faire peur, les voilà qui peu à peu se calment, se taisent, s’apaisent, rentrent sous terre. Pourtant, j’aperçois dans un coin, s’épanouissant dans l’ombre, des figures que je n’avais pas encore remarquées. Encore des officiers déguisés : ceux-là, d’où viennent-ils ?

A Torgowaya entre dans le wagon un garçon apothicaire, devenu agent bolchevik. Il inspecte nos bagages. Nous sommes presque entre nous, les « camarades » ayant pour la plupart quitté le train. Le jeune révolutionnaire s’obstine à chercher dans la valise d’un colonel, ancien officier d’ordonnance du général Polivanof, des preuves de son identité. Après un quart d’heure de recherche fiévreuse, sous un feu roulant de sarcasmes, il finit par découvrir des pattes d’épaule de colonel. La scène change. Lardé de brocards plus cuisants que la pierre infernale, et plus caustiques que les sels anglais, le garçon apothicaire se met à sangloter : il dit et répète, sous nos éclats de rire, qu’il vient de faire cette besogne pour la dernière fois ; il jure qu’il n’y reviendra plus. Dans cette région, les Bolcheviks ne disposent pas encore de forces suffisantes, pour exercer une surveillance vraiment active et un contrôle sévère.

A Tikhorétskaya les crânes rasés, les regards d’aigles et les barbes musulmanes nous quittent. Quelques trains de marchandises partent encore cette nuit pour Rostof. Le matin du 27 février nous sommes arrêtés par un peloton de soldats, dont chacun porte les insignes des divers grades d’officier : c’est que nous venons de pénétrer dans la zone de l’armée volontaire. Bientôt nous passons le Don, et entrons à Rostof, ville au surplus sans caractère et uniquement commerçante.


LA DÉFENSE DE ROSTOF
L’ETAT-MAJOR DE L’ARMEE VOLONTAIRE

Les généraux Alexeief et Kornilof, — la tête et le cœur de la nouvelle organisation, — ont choisi le gouvernement du Don comme celui où ils seraient le mieux en mesure de former la nouvelle armée et de rassembler autour d’eux tous les