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Malye-Saly, Ils sont partis avec une vingtaine d’officiers de Kornilof, sous les ordres du lieutenant-colonel prince Matchawariani.

Cette attaque était évidemment une faute. Cette troupe bigarrée, mêlée de gens de tous âges et de toutes conditions, inexercés, sans cadres, presque sans commandement, allait se heurter à un ennemi huit fois supérieur en nombre, solidement retranché, muni de canons et de mitrailleuses, commandé par les officiers allemands. Et elle chargeait à l’ancienne mode, datant d’avant les mitrailleuses !

Le plus étonnant est que ces 20 officiers et ces 300 Cosaques, les uns montés, les autres a pied, s’emparèrent d’une batterie, prirent dix mitrailleuses et semèrent le désordre dans les rangs de l’ennemi. Mais, en plein succès, une fausse alerte vint tout gâter. Bolcheviks ou Allemands dispersèrent quelques Cosaques à cheval, et les autres, — déconcertés par cet échec dont leur simplicité de primitifs s’exagérait la gravité, — tournèrent bride, dans une soudaine panique. La fuite des Cosaques à cheval jette le désarroi parmi les Cosaques à pied ; les Bolcheviks reprennent courage ; il se forme dans la nuit un centre de résistance ; la retraite des Cosaques devient générale, et les officiers restent seuls devant plus de deux mille ennemis qui tirent comme des fous. Blessé à l’épine dorsale, le pied broyé par une mitrailleuse, le prince Matchawariani supplie qu’on l’abandonne : les officiers refusent. Au prix des plus grandes difficultés, ils parviennent à le transporter sur une verste et demie. Mais les douleurs se faisant plus.intenses, Matchawariani, changeant le ton de la prière pour celui du commandement, donne l’ordre qu’on l’achève. Son adjudant, devant l’approche de la horde hurlante, se décide à obéir :

— Où voulez-vous que je mette la balle ?

— Visez derrière la tête.

Il tombe frappé à bout portant : une dizaine de survivants réussissent à nous rejoindre, à pied, épuisés.

Grand tumulte à la gare. Un Cosaque, insolent et bruyant, crie : « Nous avons été trahis par les officiers ! » Le mot fait traînée de poudre ; on jette à notre groupe de « Korniloftzi » qui assiste, silencieux et sombre, à cette débâcle :

« Que messieurs les officiers se battent, si ça leur fait plaisir ! Nous autres, nous en avons assez : nous retournons chez nous. La guerre est finie ! »