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chef-d’œuvre de « canto puro » un commentaire, chef-d’œuvre aussi d’analyse musicale, qu’on aimerait de transcrire tout entier. Mais il faudrait citer également, comme le fait M. Pizzetti, la mélodie elle-même. Alors, alors seulement, on pourrait montrer le caractère du sentiment déjà déterminé par le rythme et l’allure mélodique des deux premières mesures ; puis, celles-ci ne suffisant pas à l’expansion musicale, on suivrait le développement de la pensée ou de l’émotion avec le progrès de la mélodie elle-même. On verrait comment, d’un bout à l’autre d’une période qui ne comprend pas moins de dix-sept mesures, l’idée maîtresse renaît en quelque sorte, s’accroît, se transforme et se partage, sans se rompre et sans se disperser. On admirerait dans cet organisme sonore, léger et solide à la fois, un système harmonieux de relations et de correspondances et l’on s’étonnerait qu’une telle unité s’y rencontre avec une pareille variété.

D’où vient, poursuit à peu près le critique, d’où vient l’ampleur de la période musicale et cette richesse incomparable de mouvements rythmiques ou mélodiques ? Est-ce de la strophe ? Est-ce des vers ? En aucune façon. La strophe n’est qu’un médiocre, quatrain, aux accents monotones. Les vers ? La musique en prend avec eux singulièrement à son aise. La beauté résulte ici de l’émotion même du musicien, d’une incoercible nécessité d’expansion lyrique. Les paroles alors n’ont plus de valeur comme paroles, mais seulement en tant que paroles chantées. La poésie a suscité l’émotion et le chant ; mais, dès que le chant a jailli de l’âme émue, il a dû vivre selon les lois particulières, intimes, de son être et la parole également a dû s’y plier.

Lyrique plutôt que dramatique : il faut toujours revenir à cette définition du génie bellinien. Si, par exemple, le duo de Norma et de Pollione est très loin d’égaler celui de Norma et d’Adalgisa, c’est que le premier est un conflit de deux forces adverses, tandis que le second serait plutôt, — au début, — la rencontre de deux faiblesses, la plainte alternée de deux âmes de femme, également aimantes, également blessées et trahies par le même amour.

« Une douce tristesse affectueuse, une tristesse amoureusement expansive, qui triomphe d’elle-même et se résout en une libre effusion d’amour. » Voilà, suivant M. Pizzetti, le sentiment exprimé par une des cantilènes, — citée plus haut, — de la Somnambule. Tel est aussi le trait, ou l’ethos général du génie bellinien. Ce double caractère d’expansion et de résolution, ou de délivrance finale, ne se vérifie nulle part mieux que dans la dernière et magnifique scène, de Norma.