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alimenter les empires. La gêne s’était faite intolérable à la longue, exaspérée, cet été, par une mauvaise récolte. La plus affolante des peurs, la crainte de la disette, avait achevé de démoraliser des gens dont les nerfs étaient, suivant les moments, ou violemment surexcités ou déprimés à plat.

Faisons aussi la part des personnages. On connaîtrait mal le roi Ferdinand si on se le représentait comme un contemporain. Ce n’est pas un prince du XIXe ou du XXe siècle, mais du XVIe. C’est un exemplaire non effacé, presque pas adouci, du Prince. Il a bien le type. Sa manière d’acquérir le trône, de se maintenir, de s’agrandir, puis de tout jouer sur un coup de dés, et de tout perdre, est la manière classique. Il a peu de pareils dans notre Europe d’à présent : il en a eu beaucoup dans l’Italie d’autrefois. Son portrait, rapproché de ceux de tel ou tel tyran d’une petite cité romagnole ou toscane, aurait avec eux un air de famille. Il en a connu tous les vices, toutes les névroses, toutes les terreurs. Il a eu leurs commencements, leur vie, il aurait pu avoir leur fin. Principe nuovo d’un État également nouveau où il s’était introduit par l’intrigue, établi par la ruse, il a pensé s’y consolider par les armes. Son erreur a été, après une ou deux tentatives manquées, par ses armes à lui, de s’imaginer réussir par des armes qui n’étaient point les siennes. En aucun cas, il ne pouvait gagner: vainqueur, avec autrui et grâce à autrui, il n’eût guère été moins vaincu. A quoi bon s’être, avec mille efforts, affranchi de la vassalité turque, pour se lier et se plier sous la vassalité allemande? Mais si Ferdinand de Cobourg n’a pas appris ou n’a pas compris cette première leçon du machiavélisme, qu’un prince, comme un État, doit être l’artisan de sa propre puissance, il a deviné et pratiqué la seconde, qui est qu’il faut varier avec les temps et savoir s’y accommoder. L’instinct et l’habitude l’ont merveilleusement averti qu’on ne sort d’une trahison que par une autre ; et, sauf qu’il n’a pas eu la patience de manger l’artichaut feuille à feuille, ni le goût ou peut-être l’occasion d’aussi atroces cruautés, c’est une sorte de César Borgia, de Pandolfo Petrucci à la fois germanique et oriental. Il a été aidé, dans sa plus récente volte-face, par son premier ministre.

M. Malinoff est le ministre des crises, des repentirs et des retours. Avant la guerre, il avait la réputation de russophile, et la diplomatie de l’Entente avait fondé quelque espoir sur sa résistance. Ce fut une déception quand, dans le Conseil de la Couronne, il se rangea à l’avis de la majorité. Russophile, l’était-il vraiment, ou ne