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non sans lâcher la forte somme. Hauts en selle, droits sur les étriers, ils font décrire de grands cercles à leurs fouets. Les chevaux nous suivent librement en « taboun[1]. »


LES CADETS DE GASCOGNE


Zimovnik Kouznietsovka.

Partout de petits groupes de cavaliers en reconnaissance. Je rencontre un détachement de l’otriad de Tchernetzof, qui a, quelque part dans une stanitza, trouvé des lances. Nous cherchons des yeux des partis de Bolcheviks, prêts à foncer sur eux ; mais ils ne se montreront pas. Gardes rouges et soldats révolutionnaires ont bien su massacrer les officiers à l’armée en les frappant dans le dos, ou dans les maisons de Kief, Sewastopol, Taganrog, en les attaquant isolément et par surprise : mais ils n’oseront pas les affronter quand ils les savent en état de se défendre.

Le soir, nous couchons dans un zimovnik abandonné, ou les Tchèques nous rejoignent. Nous sommes sept dans une petite chambre, Reznikof, Gherchelman, Ianovsky, Aprelef, Kritzky, Fermor et moi. Nos vêtements sont en loques. Le comte Fermor a sa culotte déchirée et sa tunique percée aux coudes. Nous mangeons à la pointe du couteau, ou tout bonnement avec les doigts, à même dans la casserole, des nourritures fort sommaires. Mais on conserve, tout déguenillé qu’on est, les formules et les gestes de la plus exquise politesse. Nous en rions nous-mêmes. Cette guerre d’un contre cent ressemble si peu à une expédition raisonnable, elle vous a tellement l’air d’être le résultat d’une folle gageure ou d’une insolente fanfaronnade ! Le comte Fermor trouve que nous lui rappelons Cyrano et se met à déclamer :


Ce sont les cadets de Gascogne,
De Carbon de Castel-Jaloux.
Bretteurs et menteurs sans vergogne,
Qui font cocus tous les jaloux…


Voilà qui est de circonstance !… On rit… et puis soudain on retombe dans un profond silence… On rêve, on se rappelle

  1. Troupeau.