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moderne, et qui surprennent par un accent étranger jusqu’alors à la pensée du XIIIe siècle. Je revois en particulier une Montée au Calvaire, un Christ cassé en deux, les épaules écrasées sous le faix, le visage noyé sous sa chevelure défaite et buttant à chaque pas comme un misérable accablé sous un fardeau trop lourd. Cette statuette contenait un infini de douleur. On eût dit un sanglot de la pierre.

Et dès lors commence ce genre de sujets qui vont pendant trois siècles jouir d’une vogue incomparable : ce genre d’art dont la grande affaire sera de détailler chaque instant, chaque motif, chaque épisode de la Passion : où la lance, les clous, l’éponge de fiel et de vinaigre, la couronne d’épines, tous les instruments du martyre seront considérés à part, deviendront les objets d’un culte particulier ; où la légende de Sainte Hélène et de la Sainte-Croix se répétera à l’infini sur les murs des églises. Tous ces thèmes répandus par Giotto et son école, dans toutes les parties de l’Italie, et qui ont popularisé la religion franciscaine, se trouvent déjà exprimés, dès le temps de saint Louis, sur la nouvelle, façade de Reims. On sait quelle fut, dans ce bel âge, la gloire de ce dernier des croisés ; on sait que l’ordre de saint François se vante de compter ce roi de France au nombre de ses tertiaires. On sait enfin ce que fut, dans le monde chrétien et féodal, ce rajeunissement de la foi, ce phénomène d’enthousiasme et de ferveur religieuse, cet enchantement de tendresse, ce miracle de conversion opéré par ce « pauvre d’Assise, » dont la piété publique faisait comme une nouvelle édition du Christ. L’Evangile franciscain se répandit par toute l’Europe avec la rapidité de la Hamme. Il ne paraît pas douteux que la Passion de Reims ne soit un résultat de l’émotion franciscaine, de ce bouleversement des âmes, sans analogue dans l’histoire, qui rouvrait soudain, faisait jaillir les sources profondes de la pitié, de la poésie et de la sensibilité humaines. Que n’est-il permis de nommer le prédicateur, le puissant sermonnaire dont la parole eut le pouvoir d’évoquer dans une imagination d’artiste les merveilleuses images dont je viens de parler ? Mais n’est-il pas remarquable que le monument le plus précoce, et à coup sûr l’un des plus beaux, de l’esthétique franciscaine, soit né dans une cathédrale de ce royaume de France dont le « Saint Troubadour » et le « jongleur de Dieu » chérissait les poètes et dont son