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On revient alors aux statues de Reims, ou bien l’on regarde, dans le répertoire de M. Paul Vitry, ces reproductions si parfaites qu’elles équivalent à des moulages. On admire la variété surprenante de ces personnages, les familles ou les groupes qu’ils semblent former entre eux, les nuances qui les distinguent comme les affinités qui les unissent. On reconnaît des types, des formules, des écoles ; l’ensemble de l’œuvre se distribue entre quatre ou cinq maîtres, d’origine ou d’inspiration différentes, ayant chacun ses procédés, son goût, ses élèves, son atelier. Quel temps que celui où une ville de province six fois moins étendue que la Reims d’aujourd’hui se montrait prodigue de talent comme la Florence de Ghiberti et de Donatello ! Pourquoi faut-il que nous ne puissions deviner un de ces noms, qui devraient nous Atre sacrés ? Par quelle étrange modestie, par quel détachement ou quel oubli de nous-mêmes avons-nous laissé à l’abandon la fortune des nôtres ? L’Italie, si lente au contraire, et que nous précédons de loin sur toutes les voies nouvelles, doit une part importante de sa renommée, artistique à sa précoce idée de la gloire. Avec quel luxe de signatures et d’inscriptions emphatiques nous a-t-elle légué les œuvres barbares d’un Gruamons ou d’un Antelami ! Les historiettes qu’un Boccace nous conte sur Giotto, les notes d’un Ghiberti, et surtout le livre immortel de Georges Vasari témoignent d’un sentiment qui nous a fait défaut, celui de la valeur du talent, le culte de la virtù, la passion des mérites par lesquels l’homme s’illustre et « se rend éternel. »

Du moins les œuvres nous restent, — ou plutôt nous restaient, avant les Allemands, — et nous pouvions nous faire une idée des dons de la vieille France. Consultons le recueil que nous offre la piété de M. Paul Vitry ; nous n’aurons pas de peine à discerner dans cette façade les parts diverses de plusieurs maîtres. Il suffirait presque d’étudier les statues de la Vierge, pour avoir une image de ces talents divers ; la Vierge apparaît quatre fois à la porte centrale, au trumeau et dans trois scènes de son histoire : ces quatre figures sont certainement de trois artistes différents ; on dirait d’un concours, comme ceux des jeux poétiques à la manière des Puys, où chacun d’eux a tenu à honneur de disputer le prix, et montre son tempérament, sa sensibilité propre, dans sa façon d’interpréter un sujet chéri et d’exprimer les louanges de la reine des femmes. Il résulte de