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petitesse charmante de la tête, d’où s’échappe le flot annelé de la chevelure. Longue et svelte princesse, elle sourit du bout de ses cils et de ses lèvres minces à l’enfant sérieux qu’elle porte sur le bras, avec le joli hanchement qui donne à la silhouette une cambrure piquante. Cette œuvre brillante, d’un accent si précis et si neuf, semble à mille lieues de la Vierge ingénue de tout à l’heure ; celle-là est la fille du siècle, l’enfant d’un âge qui raffina sur le culte de la femme et l’idée de l’amour. Le sculpteur, voulant exprimer le jeune empire de la Vierge, prête à son image l’élégance un peu maniérée qui était alors l’idéal de la société polie.

Parmi ce groupe de « modernes, » deux maîtres surtout s’imposent par des œuvres hors ligne et par le parti pris de donner à l’histoire l’aspect de la vie contemporaine. L’un et l’autre ont exécuté de merveilleuses statues de femmes. L’auteur de la Reine de Saba, qui est aussi celui des deux sublimes figures de l’Église et de la Synagogue, et de plus d’une encore parmi celles des rois et des anges des contreforts, est un des plus heureux génies de la sculpture française. Il se confond peut-être avec le créateur de la Vierge du trumeau et de l’Eve qu’on admire au bras Nord du transept. C’est un esprit tranquille, un fin observateur, sensible à la beauté subtile de la vie. C’est lui le maître de cet atelier qui a orné Reims tout entière de ces admirables sculptures dont quelques-unes se trouvent éparses dans les collections privées, et dont l’exemple le plus célèbre était autrefois, à Reims même, la décoration fameuse de la Maison des Musiciens. L’art français y atteint la grâce de certains ouvrages de l’Attique. La vie, le costume du XIIIe siècle, — le plus beau qui ait ennobli le corps humain depuis la Grèce, — revêtent sans effort le style et la grandeur. Nulle part on n’a résolu avec tant d’aisance apparente ce difficile problème, l’union de la vérité avec le style monumental. La Reine de Saba était le chef-d’œuvre de cet art. Elle s’avançait gracieuse dans son manteau flottant, les cheveux dénoués, avec son aumônière pendue à la ceinture, pareille à une des grandes dames qui sortaient de la messe et distribuaient quelque monnaie aux pauvres du parvis. On devinait sous la robe la ferme ronde du genou. C’était dans les dimensions du « grand art » et non plus du bibelot, le charme vif et sans apprêt d’une « Tanagra » du temps de saint Louis. Ce qui se faisait