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Ainsi le problème de l’imitation antique au moyen-âge apparaît sous un nouveau jour. Peut-être ne se pose-t-il nulle part plus clairement qu’à Reims. Longtemps ce que l’on a appelé la Renaissance a paru être un fait tout italien ; Renan a pu écrire que l’Italie « n’a presque pas eu de moyen âge. » C’était le temps où Nicolas de Pise passait encore pour le plus grand sculpteur du XIIIe siècle. Mais il y avait à Reims, en 1250, plus d’un maître supérieur à Nicolas de Pise. L’inspiration classique n’est même pas le privilège de l’Italie. Il existait à Reims toute une école qui s’en était fait une règle, et qui voyait dans cette règle la condition de la beauté. C’est cette école à qui l’on doit les graves et puissantes figures de l’ancienne façade et qui plus tard, dans le groupe de la Visitation, a produit ce qui, dans l’art chrétien, se rapproche le plus peut-être de l’art du Parthénon.

Ainsi ces statues mystérieuses ne sont pas une exception dans la sculpture du moyen âge ; elles semblent plutôt un épanouissement. Au lieu d’être un début, elles sont un dernier mot. D’où vient qu’elles n’ont pas eu de postérité ? D’où vient que la Renaissance, ici toute prête à éclore, s’est éteinte comme un printemps qui gèle en fleurs avant de donner ses fruits ? On aura peut-être le secret de cet avortement étrange, si l’on se reporte aux ouvrages qui environnent à Reims le groupe de la Visitation. Nous avions déjà noté dans les tympans du vieux portail, en marge des grandes figures classiques, un goût charmant de l’anecdote, de la représentation des scènes familières. Ce goût vif, populaire, ne se montrait encore qu’en germe, incidemment, dans de menus épisodes ; il était retenu dans des limites étroites par un maître plus austère. À ce moment, c’est celui-ci qui est le chef du chœur : c’est un génie classique dans toute sa force et sa raison, qui règne dans cette première façade de la cathédrale.

Transportons-nous devant la nouvelle. Un flot de représentations pathétiques, un torrent d’émotions jusqu’alors absentes de l’art ruisselle sur les frontons, route en cascade sur les voussures ; les scènes de la Passion atteignent subitement un degré de réalité inouï. Mais ces émotions, on les veut présentes, immédiates ; l’histoire et l’Evangile, pour se rapprocher de nous revêtent les costumes modernes, se présentent sous l’aspect de scènes de tous les jours. Le maître de la Visitation apparaît débordé, perdu dans cette crue soudaine de choses