Page:Revue des Deux Mondes - 1918 - tome 48.djvu/162

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
UNE RELÈVE
(mars 1917)


I. — LES RUMEURS D’UN JOUR D’HIVER

Une nouvelle exacte, dans un régiment du front, est toujours précédée de vingt rumeurs plus ou moins vraisemblables, pareilles à ces brumes qui font prévoir, dès le matin, la forte chaleur d’un jour d’été. Quand on voit ces bruits accourir du lointain des états-majors, du fond des ravitaillements, colportés par les vaguemestres, les cyclistes, les agents de liaison, tout ce petit monde errant des routes, des chemins et des boyaux ; quand le cuisinier les commente, que le planton les discute, que les secrétaires prennent des airs mystérieux, que le capitaine les écarte non sans y prêter toutefois une oreille attentive ; quand l’homme à qui ces rumeurs plaisent, parce qu’elles modifient son sort d’une façon avantageuse, leur ajoute un détail précis, un argument qui en fait aussitôt des certitudes ; quand celui qu’elles mécontentent présente au contraire des raisons qui en font voir l’absurdité ; quand pendant huit jours enfin, officiers et soldats, personne ne s’aborde plus qu’avec ces mois : « Où va-t-on ? En Alsace, en Lorraine, en Argonne, à Verdun, dans les Flandres, en Champagne ? » tout à coup, de ces brumes, de ces nuées inconsistantes, jaillit la nouvelle, la vraie, celle que rien ne peut modifier, ni les appréhensions, ni les regrets, ni les désirs : c’est la relève, on change de secteur.


On sait ce que l’on quitte. Ce n’était pas brillant ; Une vallée sablonneuse, imprégnée d’eau comme une éponge et qui s’est