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remplies de bêtes et de gens, où l’on entendait toujours roucouler une tourterelle en cage ; ces greniers que le vent du Nord secouait comme des nids dans les branches, et où j’ai laissé tant de rêves pendus aux toiles d’araignée… Après avoir grogné pendant tout le séjour, un vague regret vous saisit de quitter ce sinistre endroit. On a pris là des habitudes, le nid est fait sans qu’on s’en doute. A deux ou trois kilomètres à la ronde, la carte gastronomique du pays n’a plus de secrets pour personne. Les manies de l’ennemi sont exactement repérées, ses heures de tir, la direction de ses coups, les points de départ des obus, les routes qu’ils suivent dans l’air, — connaissance qui donne à la fois un peu de dédain pour l’adversaire et le sentiment illusoire de la sécurité. On connaît le petit lot d’indigènes qu’un touchant amour de leur toit retient dans ces tristes parages. Et puis enfin, si l’on s’en va, c’est que rien de fâcheux ne vous est arrivé ; et de cela surtout on est reconnaissant à ces masures démolies, à ce paysage de misère, qui invariablement donne une impression si fâcheuse, lorsque, pour la première fois, on jette un regard étonné sur ces maisons en ruine, ce clocher qui se penche comme un cierge trop chaud, ces jardins à l’abandon, ces choses tout à l’heure encore si complètement inconnues et qui se trouvent tout à coup étrangement liées à votre vie.

Où va-t-on ? A d’autres travaux, ou bien à la tranchée ? Nouveaux palabres, nouvelle agitation des esprits. Heureuse gymnastique, sans laquelle la pensée inoccupée glisserait au morne ennui. Rien ne peut rendre le mouvement de ces conseils de tribus, où chaque escouade discute de la valeur du régiment et de l’emploi qu’on peut en faire : les uns vantant les travaux et l’agrément de dormir à son aise, quitte à se réveiller une heure pour descendre à la cave, si le marmitage est trop sévère ; les autres préférant la tranchée, plus périlleuse assurément, mais où la discipline est plus souple et la ration de vin plus forte.

D’ailleurs la question est réglée : le régiment remonte en ligne. Dans quel secteur ? Nouveau problème. Et les fausses rumeurs de s’élever et de danser au-dessus du cantonnement, comme, en été, les moustiques au-dessus d’un marécage. Pas un secteur du front où, tour à tour, quelque planton bavard n’expédie la Division. Les gens du ravitaillement fixent les