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de ces transports étaient maritimes. La paralysie de sa flotte marchande menaçait d’une atteinte grave toute Puissance belligérante, d’un coup mortel l’Angleterre. Garder, malgré les mines, les sous-marins et les avions, les routes ouvertes aux navires qui lui apportaient la vie de chaque jour s’imposait à celle-ci comme la plus vraiment essentielle des opérations militaires. Et cette lâche incombait à des embarcations jusque-là tenues pour rien par l’art militaire. De la Baltique à la Manche, les eaux riveraines des nations ennemies se vidèrent des colosses maritimes que leur grandeur même attachait au rivage, et se remplirent de bateaux minuscules nombreux, toujours actifs et, les uns contre les autres, incessamment occupés à ouvrir ou à fermer les mers.

Pas plus que le zèle national et guerrier de Kipling n’aurait pu, durant la lutte présente, rester à l’écart d’elle, ni s’unir à elle sans suivre les couleurs britanniques, ni s’engager à leur service sans embarquer sur les vaisseaux anglais, il n’y pouvait faire son quart de veille sans devenir attentif à la nouveauté de la guerre navale : l’inertie des flottes proportionnelle à leur préparation militaire et l’importance décisive de flottilles que les maîtres de la mer n’avaient pas préparées. La genèse de cette marine obscure, voilà le sujet auquel il vient de consacrer sa Guerre sur mer. Il suffisait à l’homme d’être tel qu’il est pour se trouver comme contraint par sa nature au livre même qu’il a écrit.


II

Comment s’improvisa cette flotte qu’on n’avait pas prévue et dont le concours était urgent ?

La ressource vint d’un emprunt contraire aux anciennes habitudes, mais conforme aux nécessités nouvelles. Car c’est fini des temps où les armées de métier suffisaient à protéger les États : les jours sont venus où les peuples doivent secourir leur puissance de guerre par leur puissance de paix. C’est la marine de commerce, qui, en 1914, était la plus menacée par la guerre : la marine de commerce trouva secours en elle-même, dans la plus humble portion de la masse flottante qui formait la flotte de paix.

La paix employait à la navigation de plaisance et de pêche,