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senti, pensé, ait pour aboutissement d’être écrasé dans ces ténèbres.

Je ne reconnaissais que trop la pauvreté de ces idées. J’aurais voulu y échapper, élever de quelques degrés la température de mon cœur. Mais je m’y efforçais en vain. Plus je faisais effort pour m’arracher aux intérêts les plus médiocres, plus je me sentais sec et stérile, comme si mon esprit lui aussi se heurtait aux murs de la cave. Et pourtant, je n’avais qu’à faire appel à ma mémoire pour me trouver en plein sublime. Tant de mes amis sont morts au milieu de sentiments si magnifiques, qu’ils semblaient ne pouvoir survivre à leur exaltation, et qu’au moment de disparaître ils avaient vraiment atteint le sommet de la vie ! J’avais là, près de moi, dans leurs lettres, dans leurs souvenirs, dans ce qu’on m’avait écrit d’eux, les plus belles vies de Saints, le plus beau martyrologe : des morts toutes païennes, et pour ainsi dire consacrées à Racine et à Ronsard ; d’autres offertes d’un cœur naïf dans le plus pur élan d’un sentiment guerrier ; d’autres toutes chrétiennes, comme celle de M. de Montgolfier, que je veux rapporter tout au long, parce que personne peut-être ne l’écrira jamais, telle qu’elle me fut racontée, un de ces soirs des Flandres où l’Amiral se promenait dans la petite salle à manger, sa casquette sur la tête et sa cigarette à la bouche comme il en avait l’habitude.

L’aumônier des fusiliers, qui, par un hasard romanesque, se trouvait être l’ancien chapelain de l’Impératrice d’Autriche alors qu’elle n’était que la princesse Zita de Parme, était venu passer la soirée avec moi et me faisait un récit bien émouvant des derniers jours de Dixmude. Officiers et soldats se considéraient, me disait-il, comme sur un navire qui va sauter. Ils se faisaient les uns aux autres les confidences les plus intimes. Tous avaient fait le sacrifice de leur vie, et ils étaient d’une tranquillité parfaite. Les morts, si vivants il y avait une minute à peine, ne semblaient pas tout à fait des morts à leurs camarades qui restaient, tant ceux-ci avaient encore l’esprit rempli de leur présence et de leur activité ! Et les vivants ne se sentaient pas tout à fait des vivants, tant ils avaient la certitude que leur tour de mourir allait sonner !…Mais j’en viens à M.de Montgolfier. Il avait été blessé en donnant l’assaut aux tranchées. L’aumônier, averti, accourut de Dixmude pour lui donner l’absolution là où il était tombé. Dès qu’il l’aperçut, le blessé