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que celui dont elles avaient bénéficié avant la guerre. Cette double prétention, très crûment exprimée, enlevait vraiment tout caractère « démocratique » aux conventions qu’on se préparait à signer, et leur imprimait par contre un cachet évident de « capitalisme » réaliste, très peu concordant avec les principes essentiels du socialisme maximaliste. Comment sauver la face de ce dernier dans ce brutal conflit d’intérêts vivaces et de mots creux ? C’est à peine si Lénine et ses acolytes s’y essayèrent.

Nul n’ignore de quelle manière et avec quelle rapidité se développa cette sinistre farce : appel des bolcheviks aux peuples alliés pour les inviter à se joindre à leurs si engageants pourparlers ; reprise de ceux-ci, le 9 janvier, après le court délai imparti à ces peuples pour être admis autour du tapis vert ; protestations variées des bolcheviks contre les thèses germaniques ; intervention sensationnelle du général Hoffmann pour opposer les réclamations formulées par les Russes au nom du « droit des nations de décider de leur sort » au système des proscriptions à jet continu qu’ils pratiquaient dans le moment même à l’égard de leurs propres concitoyens ; résolution définitive, durement signifiée par le même, de ne pas évacuer les provinces baltiques, « ces contrées n’ayant ni organes administratifs, ni organes judiciaires, ni police, ni chemins de fer, ni postes et télégraphes, » ou, plus exactement, « tout cela étant au pouvoir et au service des Allemands. » Et ainsi de suite.

Soudain, pressée de sortir du déluge de mots maximaliste, pressée surtout de se procurer des vivres, qu’elle espérait y trouver en abondance, l’Europe Centrale reconnaît l’autonomie de l’Ukraine et traite avec elle (9 février), en lui cédant même quelques districts de la Galicie autrichienne pour acheter plus vite son accord. Dès le lendemain, le ministre des Affaires étrangères de Lénine, le célèbre Trotsky, proclame qu’il se refuse et à souscrire aux annexions allemandes, et à reprendre les armes ; il ordonne d’achever la démobilisation russe, déjà aux trois quarts consommée par la désertion spontanée des troupiers ; il laisse aux soldats allemands le soin « de savoir maintenant qui les mène et pourquoi on les pousse à la guerre. » Cette innovation diplomatique « ni guerre ni paix, » cette dénudation de l’idée pure pour la défendre contre les instincts animaux, n’ont pas plus de succès que les précédentes