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Lutèce, à Lyon ; dans les villes, forums impériaux, basiliques où le Droit se dit, — ce Droit romain qui règne de l’Orient à l’Occident, — curies où siègent les sénats municipaux gallo-latins, temples où le culte est rendu aux divinités de Rome, aux Césars déifiés, théâtres où se jouent les drames écrits dans la langue de Térence, amphithéâtres où les jeux se donnent à l’instar du Colisée, thermes où tiennent les plaisirs, portes qui toutes semblent des arcs de triomphe, que de témoins qui subsisteront si longtemps, dont quelques-uns, — telle la Porta Nigra de Trêves, — restent encore debout !

A Moguntiacum, — Mayence, — à Colonia Agrippinensis, — Cologne, — deux légats de Rome commandent. Et certes, ils seraient étonnés d’apprendre ce que les historiens allemands leur démontreraient avec une bouffonne assurance, de Venedey et Riehl à la légion des derniers professeurs, pangermanistes rétrospectifs, — à savoir qu’ils règnent au nom de Rome sur des Germains frémissants. Car Trevires, Ubiens, Mediomatrices et Triboques, tous peuples de la rive gauche, sont si bien Celtes qu’ils font partie, comme jadis, du Concilium totius Galliæ. Mais ce sont Celtes romanisés, qui s’accommodent de la vie municipale laissée et organisée par Rome civilisatrice et législatrice, cette large liberté, qui, loin de le contrarier, assoit l’Empire. Vie municipale intense qui s’épanouit dans le décor romain, vie tout à la fois intelligente et opulente : tandis que, adossés au fleuve, derrière le limes germanicus, — muraille continue qui, sur la rive droite, assure la défense, — les légions protègent ces citoyens gallo-latins, ils peuvent vaguer à leurs affaires, à leurs plaisirs ; des industriels exploitent les mines et les salines, tournent les pots, les coupes, les vases, cisèlent les bijoux et forgent les armures, et, cependant, des poètes chantent, de Claudien à Ausone, le Rhin et la Moselle. Dans les villæ, domaine ruraux, l’excellente terre rhénane et mosellane se cultive.

Si large que fût le fleuve, il devait avoir la fortune de tout obstacle naturel s’il cesse d’être énergiquement et persévéramment défendu. Les barbares, poussés par d’autres Barbares, devaient le franchir. L’Empire s’affaiblissant par ses divisions, le Barbare tantôt se glissait en traître, — sous prétexte de « servir, » tantôt, le moment venu et les traîtres en place, violait la barrière, qui bientôt cessait d’en imposer.