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tout excepté Prussiens. Les trois quarts des départements rhénans, — l’autre quart passant à la Bavière ou à la Hesse, — allaient constituer cependant la Prusse rhénane, étrange accouplement de mots valant la monstrueuse formule Saint-Empire romain germanique : ces Gallo-latins-francs, passés jadis sous la suzeraineté des Empereurs dits romains de Francfort et de Vienne, allaient être tenus pour membres de la Prusse : Borussia, qui se traduit Marche de la Russie. Eussent-ils d’ailleurs été plus « Saxons » ainsi qu’ils avaient failli le devenir ? En tout cas, pour la deuxième fois, ils étaient arrachés à la communauté française et remis de force sous un joug tout à la fois singulièrement plus étranger et, partant, plus lourd que devant.


VII. — LES SURVIVANCES

« Musspreussen. » — « Prussiens par contrainte, » — ainsi s’intitulèrent-ils eux-mêmes plus de cinquante ans. Et cinquante ans, ils allaient attendre l’heure où la France restaurée les pourrait derechef réunir. Le souvenir de celle que, en 1810, le conseil général de la Sarre appelait « la Mère Patrie, » restait si longtemps vivant sur la rive gauche ! On se rappelle le mot du vieil empereur Guillaume Ier, — qui connaissait bien Rhénanie et Rhénans pour les avoir en qualité de gouverneur, et à ses dépens affrontés : « Les Français n’ont occupé la province rhénane que pendant vingt ans, et après soixante-dix ans, leurs traces n’y sont point effacées. »

Les œuvres restaient, et le souvenir des hommes. Jean-Bon, mort en 1813 et enterré au milieu des larmes de la population de Mayence, restait entouré de la reconnaissance publique : sous la domination prussienne déjà, le Conseil municipal se déclarait « pénétré du grand souvenir de ce qu’il avait fait, » Coblence eût volontiers voté à Lezay-Marnesia la statue qu’allait lui élever Strasbourg. A Aix-la-Chapelle, on ne pénétrait point dans le parc du Lousberg sans rappeler le souvenir du préfet Lameth qui en avait doté la cité. Routes ouvertes, canaux tracés, fleuve amélioré, ports creusés, tout disait le travail de ces hommes, si promptement fécond, — et l’agriculture encouragée, et l’industrie portée à un si haut degré de prospérité, et le commerce florissant et la propriété libérée, répandue, et l’ouvrier affranchi et la liberté des cultes impartialement et