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rigoureusement servie, — et, par-dessus tout, la justice rendue et le Code établi.

Cette justice française, c’était la seule institution qui dût près d’un siècle survivre. Attaqué dès 1816, défendu avec âpreté, sans cesse menacé d’altérations partielles ou de totale suppression, le Code Napoléon allait rester en vigueur jusqu’aux premières années de ce siècle. Supprimé seulement en 1900, il était à ce point devenu « la Loi » pour les magistrats qu’en 1908 encore, des jugements s’en inspiraient. Jusqu’en 1877, les tribunaux, de même, restaient les tribunaux du régime français ; contre toutes les tentatives de suppression, les Rhénans avaient défendu cette Cour d’appel que, seul parmi les onze provinces prussiennes, le « Rheinland » possédait, et qui, il y a trente ans, jugeant d’après le Code, se déclarait liée par les décisions de la Cour de Cassation de Paris.

Le gouvernement prussien eût voulu plus promptement supprimer ces beaux vestiges de la domination française. Mais il savait, — Guillaume Ier le disait tout à l’heure, — que le « sentiment, » si, après soixante ans d’annexion prussienne, il ne restait pas unanimement français, était unanimement antiprussien. La popularité inouïe dont jouissait Napoléon n’en était qu’une des manifestations. Les anciens soldats, groupés en société de vétérans, à Cologne, Coblence, Mayence, célébraient obstinément le 15 août, — la fête impériale, — et le 5 mai, anniversaire de la mort. Les anciens élèves de ses lycées revendiquaient l’honneur d’avoir été « les lycéens de l’Empereur. » Son portrait était partout : Victor Hugo, en 1840, le vit dans toutes les auberges, dans toutes les boutiques.

Tout, ce qu’il y avait eu de despotique dans l’ordre établi après 1802 s’effaçait des mémoires. Sans doute Napoléon leur avait pris leurs fils, mais la Prusse les leur prenait pour tirer sur eux les jours d’émeutes ; on disait d’eux : « Il est chez les Prussiens, » Er ist bei den Preussen. Lorsque les garçons se battaient d’Austerlitz à Wagram, on ne disait point : « Il est chez les Français » puisqu’on était Français. Sans doute les impôts étaient lourds ; mais ils étaient montés sous la Prusse de 7 millions à 9. Sans doute Napoléon entendait-il que protestants et juifs fussent libres de pratiquer leur culte, mais les catholiques n’étaient point, — il s’en fallait ! — persécutés ; ils l’étaient dès 1818 et on verrait, en 1837, l’archevêque de