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jamais nous en séparer. Et nous voilà nous battant toujours, pour notre vie, jusqu’à la mort, malgré les étapes victorieusement parcourues. Mais les choses ont changé, car nous pouvons lutter à l’Ouest avec des forces plus considérables que jamais, et les combinaisons stratégiques des Puissances centrales se sont toujours révélées meilleures que celles de l’Entente. Ces dernières ne reposent que sur le secours américain. En définitive, au point de vue stratégique aussi, nous avons l’avantage.


Insuffisance des renforts américains, supériorité numérique et stratégique des armées austro-allemandes, affirmation que l’Allemagne se bat pour l’Alsace-Lorraine, certitude de la victoire, voilà les thèmes que la presse va ressasser pour faire accepter l’idée de la grande offensive sur le front occidental.

A cela Kühlmann et ses amis répondent : la victoire militaire est désormais impossible, la nouvelle campagne coûtera des sacrifices formidables et inutiles. Mais comment tenir publiquement un langage aussi décourageant à moins d’être soutenu par un grand mouvement d’opinion ? Or, la majorité du peuple n’a point perdu sa foi en Hindenburg et Ludendorff. Les prédications de Tirpitz et du « Parti de la patrie allemande » ont enfiévré les esprits.

Quand la crise devient aiguë, quand le bruit court de la démission de Ludendorff et que la question de personne est nettement posée, « il ne saurait y avoir qu’une réponse : Hindenburg et Ludendorff sont ceux vers qui les regards du peuple allemand sont dirigés et ceux en lesquels il met une confiance qu’il n’a jamais accordée à aucun autre chef militaire ou politique. Ils sont pour nous la personnification de la Germanie en lutte avec l’univers. Leur départ serait considéré dans le monde comme une catastrophe pour notre pays, comme un aveu de notre défaite. Les suites en seraient incalculables. Aussi n’en peut-il être question. » (Magdeburgische Zeitung, 6 janvier 1918.) Prendre parti contre Hindenburg serait un blasphème. Les adversaires des dictateurs n’osent même pas se déclarer. La Frankfurter Zeitung jure ses grands dieux qu’il n’y eut jamais de conflit entre le pouvoir civil et le pouvoir militaire : supposer un pareil antagonisme, c’est se livrer à des « manœuvres criminelles, » c’est « faire injure à Hindenburg et Ludendorff. »

L’affaire est alors portée devant l’Empereur et celui-ci cède une fois de plus au chantage des pangermanistes, renvoie le