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BERTHE MORISOT


(MADAME EUGÈNE MANET)


Le dimanche, parfois, Mallarmé m’emmenait,
Non loin du Bois, dîner chez madame Manet.
On quittait l’avenue où la foule circule.
C’était l’été. Déjà venait le crépuscule
Et, quand nous entrions dans le vaste atelier
Calme, élégant, avec son roide mobilier
Empire, — canapés, chaises aux formes nettes,
Sphinx allongés aux bras des fauteuils à palmettes, —
On se sentait un peu timide et presque sot
Sous le regard aigu de BERTHE MORISOT.
Je la revois comme jadis en ces dimanches :
Bouche amère, yeux très noirs et longues mèches blanches,
Hautaine et grave en son silencieux orgueil
De porter ce grand nom dont l’art était en deuil
Et qui, de haut, planait sur son œuvre de femme,
Œuvre probe, sincère, ardente et sans réclame..
On était peu. Sa fille et quelques vieux amis
Autour d’elle, chaque semaine réunis :
Parfois Renoir nerveux et Degas sarcastique.
Je revois Mallarmé leur donnant la réplique,
Courtois, ingénieux, ironique, éloquent.
Je me taisais. Puis, à l’heure du diner, quand,
Par groupes, on allait vers la table servie,
Madame Morisot et sa fille Julie
Nous précédant, on entendait sur le parquet
Où la crispation de ses ongles craquait,
Se glisser, par la porte à deux battants ouverte,
Le pas souple et griffu du lévrier Laërte.


EUGÈNE BOUDIN


Le vieux Honfleur avec ses bassins et son port
Où la pomme normande et les sapins du Nord
Mêlaient leur double odeur à la senteur marine,
Et le clocher coiffé de Sainte-Catherine