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Lorsqu’assis sur le bord de son cours sans remous
Vous regardez passer et vivre devant vous
L’âme du cher pays de moulins et d’écluses,

Sur votre toile neuve où posent vos pinceaux
Vous retrouvez, dans les chromes et les céruses,
Tout l’art renouvelé des vieux maîtres rivaux.


CLAUDE MONET


Lorsque vous eûtes peint meules et cathédrales,
Toute la vaste mer et la vaste forêt,
Et les longs peupliers aux cimes inégales,
Et la nuit qui s’approche et le jour qui parait ;

Lorsque vous eûtes peint le fleuve aux courbes lentes,
Et la douce prairie aux horizons lointains,
Et les roches en feu et les grèves brûlantes,
Les aubes, les midis, les soirs et les matins ;

Lorsque vous eûtes peint le vent et la lumière,
Et l’air toujours mobile en ses quatre saisons,
Et la figure grave et pure de la terre
Que la neige revêt de ses blanches toisons ;

Lorsque vous eûtes peint mille toiles, trophée
Éclatant et serein que ne gâte nul fiel,
Vous vîntes vous asseoir au bord de la Nymphée
Où s’endort l’eau fleurie à la face du ciel.

Chaque fleur qui se double en l’eau qui la reflète
Vous offre ses couleurs pour enchanter vos yeux
Et chaque feuille plate est comme une palette
Qui, docile à vos doigts, vous invite à ses jeux.

Car le temps, ni l’effort, ni la gloire, ni l’âge,
Ni son vaste labeur n’a lassé votre main,
Et pour vous, ô Monet, le plus beau paysage
Sera toujours celui que vous peindrez demain.