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II. — DE CORBIE A NORDLINGEN OU LES HAUTS FAITS DE JACQUES DE CASTELNAU

Avec un capitaine de la valeur de Monsieur le Prince, de qui l’inspiration semble soudaine et qui ne découvre que sur le champ le secret de vaincre l’ennemi, il n’y a pas à douter que le talent de l’improvisation ne soit au-dessus des autres ; Monsieur le Prince est de ceux « qui forcent tous les obstacles, » selon le mot de Bossuet, et pour qui l’intrépidité, l’élan et la bravoure tiennent lieu d’expérience. Avec le vicomte de Turenne, d’un zèle si judicieux et presque austère, la sagesse, la modération et surtout la prévoyance sont, au contraire de chez Condé, les qualités qui assurent du succès. Mais, entre les deux, entre celui dont l’action était si prompte qu’elle déconcertait la tactique la plus éprouvée de l’adversaire et le grand général vainqueur en Alsace et sur le Rhin, renommé par la préparation et le ménagement de ses entreprises, Jacques de Castelnau a montré qu’il n’était pas impossible d’emprunter à l’un et à l’autre, d’unir l’intrépidité à la réflexion, l’audace du moment à la sagesse, et que les talents du grand homme, les vertus du héros pouvaient, en se combinant, aider à composer ce modèle parfait du capitaine que La Bruyère a essayé de peindre.

Les lettres d’élévation au maréchalat, datées de Mardick en l’an de grâce 1658, et que le Roi signa en faveur du lieutenant de Turenne aux Dunes et au fort Léon, font état de ces qualités ; et c’est quand elles parlent de l’« expérience, prudence, vigilance, valeur et générosité insigne, » grâce auxquelles l’un des heureux vainqueurs de ce grand jour se plaça à un si haut rang. De fait, ce sont là vertus de chevalier ; et, par la prud’homie, le tour de force et de plaisance qui éclatent en elles, on distingue assez que celui qui en avait reçu le don de ses ancêtres était de la race des preux.

Au lendemain du jour où, blessé à mort par le fait d’une balle qui vint se loger dans l’épine du dos, M. de Castelnau reposait sur son lit de blessé, Son Eminence le cardinal Mazarin vint le voir en personne et lui exprima le déplaisir que le Roi et lui ressentaient à la vue de ses souffrances. « Monsieur, lui dit ce grand ministre, avec une solennité et une onction que le chagrin rendait plus émouvantes, le Roi vous a fait