Page:Revue des Deux Mondes - 1918 - tome 48.djvu/668

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

clairon. Elles rangent rapidement leur couchette, procèdent à un semblant de toilette. À six heures, dans d’immenses marmites semblables à des poubelles, des prisonniers apportent le premier déjeuner : une tranche de pain noir, deux cents grammes pour toute la journée et un peu de café où entrent, comme ingrédients, la carotte et la betterave. En effet, le café de glands qui constituait une boisson assez nourrissante est devenu trop cher. Les glands sont rares ; on les réserve pour nourrir les porcs : « À midi, on nous distribuait la soupe ; nous nous avancions, en file, nos gamelles à la main. » D’aspect semblable au brouet de compère Renard, cette soupe faite de rutabagas ou de betteraves pourries exhalait une odeur si nauséabonde qu’il fallait faire effort pour pouvoir l’avaler.

« Le soir, nous recevions la même soupe qu’à midi. Parfois, au lieu de soupe, nous avons eu du café comme le matin et un petit morceau d’une espèce de boudin exécrable. Il est arrivé aussi que, pour tout repas, le soir, on nous ait donné une demi-cuillerée à café de confitures, sorte de gelée, substitut quelconque aromatisé chimiquement. Si nous ne sommes pas mortes de faim au début, c’est au comité de secours français du camp que nous le devons. Celui-ci nous prit en pitié et, tous les dix jours, nous fit distribuer une boite de conserves, une boite de lait, un peu de riz ou un peu de légumes secs que nous faisions cuire sur l’un des poêles de la chambre ; mais sur ces poêles on ne pouvait mettre que quelques casseroles en même temps et il fallait attendre des heures pour s’en approcher. »

Les prisonnières souffrent tellement de la faim qu’elles ne tardent pas à dépérir. Trop de privations et si dures les exténuent. Leur faiblesse devient extrême. Les mauvais rhumes, les bronchites se multiplient, s’aggravent sur ces organismes débilités : « Dans le lit voisin du mien, j’ai vu lentement dépérir une jeune femme atteinte de bronchite. Elle ne cessait de tousser ; sa maigreur était devenue effrayante ; littéralement, ses os perçaient la peau. On finit par la transporter au lazaret. Elle y mourut au mois de juin. »

Un médecin, un prisonnier russe, était bien affecté au service des otages. Deux fois par jour, il faisait sa visite et sa contre-visite dans les baraquements ; mais, sauf quelques pastilles laxatives, il ne disposait d’aucun médicament ! Les Allemands, d’ailleurs, avaient dû le choisir à cause de sa dureté. A