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avait une sortie rentrée. L’Assemblée a commis le crime de provoquer Paris et elle a eu le reste de la colère de Paris contre la Prusse. C’est la faute des gens de Versailles. Il a rêvé un moment, et m’a dit : Vous avez raison, c’est vrai.

A un autre moment, il m’a dit : A huit ans, je savais les Orientales et il a ajouté : Ce sont les Orientales qui ont fait Flourens. Je lui sais gré d’être allé en Crète. Que pensez-vous de Flourens ? J’ai répondu : Je tai surnommé le paladin rouge. — C’est cela, a repris le Duc d’Aumale : un républicain chevalier. J’estime cette nature-là.

Il m’a parlé de Charles. Il m’a dit : Quel fils vous aviez là ! Quel superbe esprit et quel grand cœur ! Je lisais tout ce qu’il écrivait, et il a ajouté : Hélas ! j’ai été éprouvé comme vous. Et les larmes lui sont venues aux yeux.

Une des choses sur lesquelles il a insisté, c’est l’amnistie. Il m’a dit : Je n’aurais jamais voulu la mort que pour les assassins. J’ai répliqué : La mort pour personne.


Dans cette conversation mouvementée et imprévue, les deux personnages sont dignes l’un de l’autre, et leur générosité est égale. Le Duc d’Aumale n’avait pas attendu l’occasion de cette rencontre avec Victor Hugo pour exprimer les sentiments que lui avait causés l’admirable portrait de Louis-Philippe dans les Misérables. Il l’avait lu en 1862 avec une surprise et une émotion qui lui avaient fait plusieurs fois venir les larmes aux yeux. S’il n’avait pas écrit directement à Victor Hugo pour le remercier de « ces pages éloquentes » et de ces « traits sublimes, » il avait pris pour intermédiaire de son émotion et de sa gratitude, dans une belle lettre, le général Le Flô, par lequel l’auteur des Misérables la connut. Ce souvenir rendit, sept ans après, leur conversation plus facile.

Si l’on s’étonne que Victor Hugo transcrivit ainsi sur son carnet, sans en être gêné, un hommage rendu à son « génie, » voici un trait plus familier, et qui fait honneur à sa simplicité :


Ma chambre étant humide au point que le mur ruisselle, et rentrant à minuit, j’ai apporté mon matelas dans mon cabinet, j’y ai fait mon lit, et j’y ai couché. Je ne veux pas donner cette peine de refaire mon lit aux domestiques. Je ferai ainsi tous les soirs, sans le leur dire, jusqu’à ce que j’aie dans mon cabinet un lit-canapé. Le matin, je rapporte moi-même mon matelas