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s’arrêtait complètement, à mi-chemin de la côte, il sauta à terre, ôta rapidement son manteau de fourrure et le jeta devant les roues arrière pour leur donner une prise sur la glace. Elles passèrent ; il le reprit vivement et répéta le même mouvement, et ainsi jusqu’à ce que la voiture eût atteint le sommet de la côte : là, je la perdis de vue… Mon accident m’avait permis de me rendre compte de l’esprit débrouillard des automobilistes français[1]. »

On a raconté que les hommes, épuisés, « s’endormaient, au volant. » C’est absolument vrai et il y a eu, de ce fait, pas mal d’accidents. Cependant, rapidement, on put mettre presque partout deux conducteurs : tandis que l’un conduisait, l’autre pouvait dormir, appuyé sur son épaule.

Quant à la nourriture, les consignes du circuit, en interdisant tout arrêt, empêchaient, par le fait même, les repas chauds. La boule, le singe et la tablette de chocolat, mangés précipitamment sur le siège ou sur le talus d’un « chantier, » voilà quel fut, pendant quatre mois, le seul menu possible.

Les cantonnements, — de la paille étendue dans une grange, — n’étaient guère des lieux de repos. Il fallait s’occuper de la voiture, nettoyer, graisser, faire le plein : on n’avait pas le temps de s’aménager. Les groupes des réserves étaient cantonnés autour de Bar, dans la région de Revigny, de Brillon, de Ligny-en-Barrois : il y avait là, encore, une vie possible, dans des endroits habités. Mais les groupes de l’armée, eux, étaient campés, tant bien que mal, — plus mal que bien ! — dans les environs de Verdun : au Chauffour, à Blercourt, à Nixéville, à Courcelles-sur-Aire, à Belleray, à Dugny, etc. beaucoup de conducteurs devaient coucher dans leurs camions : le lecteur imaginera sans peine que, sur le coup de trois heures du matin, il y règne une température qui ne rappelle que d’assez loin celle d’un sleeping !

L’état de santé resta cependant excellent : le moral soutenait le physique. Et puis, les malades ne voulaient pas toujours se laisser évacuer, persistaient, s’accrochaient. N’est-ce pas un vrai grand soldat et un héros à sa façon, que ce conducteur qui, déjà âgé, souffrant atrocement d’une incontinence d’urine, refusa d’interrompre son service et répondait fièrement :

  1. Frank Hoyt Gailor, ouvrage cité.