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jamais tenu un volant ont appris sur la route, pour permettre à leurs camarades de prendre quelque repos ! »


Mais, comme presque toujours, c’étaient les Sanitaires, — dont les cantonnements ( ? ) étaient à Bévaux, à Rozellier, Haudainville, Verdun, Sivry-Ia-Perche, Froméréville, Béthelainville, etc. — qui devaient faire preuve d’une infatigable énergie et d’un dévouement sans limites. Je n’ai rien de mieux à faire, à ce sujet, que de citer cette simple et belle lettre, écrite, entre deux coups de chien, par un jeune engagé volontaire :

«… Dire que nous croyions avoir tout vu dans l’Artois ! Cela me parait peu de chose auprès de la vie que nous allons mener ici !… Boue, froid, rafales de grésil, pluie qui cingle, vent glacial, brouillard, les marmites par-dessus tout cela ! Et toujours en pleine nuit, sans aucune lanterne, naturellement. Il y a bien les fusées, qui illuminent a giorno ; mais c’est plutôt une gêne qu’une aide. Le meilleur, c’est encore Astarté, reine du Ciel ; malheureusement, c’est huit ou dix jours par mois. Aussi, nous continuons à suivre des yeux le calendrier : comme dit Bugeon, « je te prie de croire que nous sommes au courant des faces de la lune ! » Quant aux routes, défoncées, pleines de trous, ça ne change pas : première vitesse et du cinq à l’heure ! Souvent, quand on revient, on ne peut plus passer : un 220 a coupé le chemin. Hier, avec un camarade, nous étions ainsi de chaque côté d’un entonnoir. Que faire ? Et moi, j’avais des blessés. Il a fallu aller chercher un détour : cela a duré deux heures ; pauvres malheureux blessés, avec ce froid !… Mais tu connais tout cela, et l’immobilité qui vous glace, et le morceau de viande gelée avec un quignon de pain, et les nuits dans les postes, avec le tintamarre du canon, et les quelques heures de sommeil ( ! ) dans quelque coin, enroulé dans une couverture mouillée ; je me demande comment nous résistons… Nuits du front, les fusées, les cris lointains, les fusillades subites, l’inquiétude, la fièvre, les plaintes des blessés, et puis ces minutes d’exaltation de tout l’être, où l’on accepte… Car nous autres, comment flancherions-nous, quand nous voyons tous ces pauvres camarades que nous transportons, dont nous tenons la vie entre nos mains, et qu’un coup de volant heureux