Page:Revue des Deux Mondes - 1918 - tome 48.djvu/953

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

après le traité de Westphalie, ce « brasier d’amour » tout d’un coup rallumé autour de lui !

Un « délire d’enthousiasme, » c’est l’expression même qu’a laissé échapper, alors qu’elle ne connaissait encore que les détails de la réception à Colmar, à Saverne et à Wissembourg, la tristesse rageuse de la Gazette de Cologne: « Il vaut mieux, avouait-elle, ne pas nous leurrer d’illusions. La haine de l’Allemagne se manifeste à travers toute l’Alsace avec la violence d’un ouragan. Les Français, dans le délire de l’enthousiasme, sont accueillis comme de vrais libérateurs. » Pour Strasbourg, nous avons le récit d’un journal non moins important, de la vieille Gazette de Voss, dont l’impérialisme, si teinté qu’il voulût être de radicalisme progressiste, ne le cédait à aucun autre : or, « la tante Voss » gémissait, le 21 novembre : « En ce moment, des contingents bretons, acclamés par des milliers et des milliers d’habitants, entrent dans la ville de Strasbourg, clairons en tête... Malgré la pluie, une grande animation règne dans les rues. Partout on voit de grandes échelles dressées contre les maisons. Des peintres travaillent avec une hâte fiévreuse à remplacer les enseignes allemandes par des enseignes françaises. Au premier hôtel de la ville, on mit à jour, avec une vive satisfaction, l’ancien nom de « Grand hôtel de la Ville de Paris ; » l’enseigne allemande « Fürstenhof » (Hôtel des Princes) disparut en même temps. De même le grand magasin de nouveautés, le Louvre, a pu, ainsi que tant d’autres, reprendre son ancienne dénomination. On a travaillé toute la nuit. Mercredi, les rues n’offraient plus le même aspect. Les soldats allemands ont disparu. Les premiers drapeaux tricolores sont arborés, non sans hésitation, çà et là aux fenêtres. Mais, dès que le charme fut rompu, on vit partout apparaître le drapeau bleu, blanc, rouge. En un clin d’œil, les devantures des magasins étaient parées des couleurs françaises; les pharmaciens eux-mêmes disposaient leurs énormes bocaux de manière à établir une succession de bleu, de blanc et de rouge. On vit surgir des guirlandes et des fleurs aux couleurs françaises. La Marseillaise était vendue en français, avec et sans musique. Pendant toute la nuit on avait travaillé à la construction d’un immense arc de triomphe. » Le plébiscite, que quelques-uns réclamaient, le voilà. Et en voilà le procès-verbal, contresigné par les Allemands les plus authentiques.

Maintenant, nous aussi, passons le Rhin, à la suite des armées impériales en retraite. Dans quels sentiments les voit-on revenir? Leur en veut-on, leur fait-on froide mine, ou simplement