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en tout État fédératif, par la juxtaposition d’un État général à des États particuliers, ou la superposition de l’un aux autres. Le principe à retenir, la règle à appliquer, c’est que, peut-être depuis le 9 novembre, sûrement depuis le 28, depuis la double et officielle abdication d’Amerongen, en droit il n’y a plus d’Empire allemand.

Qu’y a-t-il en fait ? A défaut d’un gouvernement « de droit, » quel est, en Allemagne, à cette heure le gouvernement de fait ? La situation continue d’être fort obscure ; néanmoins, il semble que, la semaine passée, elle se soit éclaircie un peu. Dans ses grandes lignes, et sauf les flottements et les chevauchements de pouvoirs indéterminés qui se disputent, on peut se la représenter comme, étant alors, approximativement celle-ci. Un Directoire de six membres, figurant le gouvernement proprement dit, pris dans le parti sozial-demokrate, et composé par moitié de majoritaires et de minoritaires, trois d’une tendance et trois de la tendance opposée. A côté du Directoire, ou au-dessus, ou en face, le Comité exécutif des conseils des ouvriers et des soldats de Berlin, plus nombreux, composé, lui, de deux douzaines de délégués au moins, et de gens qui bourdonnent alentour ; antigouvernement à la fois et archigouvernement, qui contrôle le gouvernement ; car, dans le parti socialiste, il n’y a pas à se poser la question : Quis custodiet custodes ? et les gardiens sont constamment et étroitement gardés. En face encore, et nettement contre, farouchement, férocement contre, deux groupes irréconciliables : le Spartacus de Karl Liebknecht, l’Internationale de Mme Rosa Luxemburg. En gros, deux centres de rassemblement, avec des fils, des communications, des ramifications allant du premier au second et du second au troisième ; en gros aussi, l’ordre incarné dans le Directoire, et l’anarchie s’infiltrant par les derniers groupes ; le Comité exécutif en balance entre l’anarchie et l’ordre. Mais il va de soi que Directoire, Comité exécutif, et groupes, se réclament également de la révolution, se vantent personnellement d’être à soi seul toute la révolution, s’accusent réciproquement de l’usurper, de l’accaparer, de la perdre ou de la compromettre. La différence est que, pour le Directoire, la révolution est finie, et que, pour le groupe Spartacus, elle serait à peine commencée.

Comme la marine et l’armée ont été, sur des initiatives qu’il serait curieux et édifiant de préciser, à l’origine du mouvement, et comme le pivot de tout le mécanisme est dans les « conseils d’ouvriers et de soldats, » gouvernement et opposition, ordre et anarchie, Directoire