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retraite un feu d’artifice qui se promène, tandis qu’en bons gamins lorrains, pour qui il n’est point de bonne fête, même religieuse, sans que pétards s’ensuivent, des gamins font éclater dans les jambes des passants les traditionnels, les inévitables pétards. Ils ont aussi allumé sur l’esplanade un feu de joie qui aussitôt se propage jusqu’à la place d’Armes où l’on va danser.

Car c’est fait : Colette a sa cour de poilus. À 8 heures du soir, la joie se déchaîne franchement, toujours décemment. Après avoir chaulé à tue-tête Marseillaise et Madelon, à travers toute la vieille ville française ressuscitée, les joyeuses bandes ont reflué vers la cathédrale et la fête s’est concentrée sur la place. Devant l’Hôtel de Ville se sont allumés de grands feux de joie tout pareils à ceux de la Saint-Jean ; car « on y danse, on y danse, on y danse tous en rond. » Quelles rondes ! Voici que, chose touchante, les Lorraines qui, à la vérité, viennent d’apprendre (vaguement) ce qui se passe « quand Madelon vient nous servir à boire, » rapprennent, en revanche, à nos poilus — même les pépères — les rondes de l’ancienne France : Savez-vous piailler les choux ou Nous n’irons plus au bois, les lauriers sont coupés ; rien n’amuse plus nos poilus, qui sont de grands enfants joueurs, rieurs, très près du vieux berceau : « Belle, entrez dans la danse… ; » on ne chante plus guère cela en France, mais les provinces séparées ont gardé du premier Empire, voire du temps de Mme de Pompadour, les chansons, les danses, les rondes, comme elles ont tout gardé de France, avec une sorte de respect attendri : cela a été serré dans les mémoires comme les drapeaux dans les placards. « Chantez, dansez, embrassez qui vous voudrez. » Le joli spectacle et si français, français de tous les temps, que celui de cette place à 10 heures du soir ! Parfois, ayant dansé en rond, charlottes blanches et bonnets de police bleus repartent en belles bandes, et chantant cette fois la romance : « Flotte, flotte, petit drapeau… » ou « Marguerite, prête-moi ton cœur… »

À la vérité, j’éprouvai, un moment, quelque peine à m’arracher à pareil spectacle. J’avais passé à Metz, jadis, des soirées mélancoliques ! Il me fallait cette revanche, et je voulais en goûter jusqu’au bout la saveur. Était-ce bien cet hôtel de ville d’où, un soir, j’étais sorti avec Henry Houssaye, si triste, si consterné, parce que sa conférence avait été, à 9 heures