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brume bleue épaissie devant le palais de Rohan, — aujourd’hui deux fois célèbre puisque c’est là que surgit « l’affaire » en novembre 1913. Les gamins crient : « Vive, vive la France ! » et le chœur reprend.

Il faut cependant s’arracher à la fête qui, tous les soirs, depuis trois jours, se déchaîne, et repartir pour le sud : Marmoutier, Wasselone, Molsheim, charmantes petites cités en liesse ; en chacune d’elles, un général de division aplanie un fanion et les poilus circulent au milieu d’Alsaciennes dans leur tenue de gala et d’une foule au large sourire. Voici bientôt trois jours qu’ils entrèrent là et nul ni des « libérateurs » ni des « libérés, » ne se blase sur le « spectacle. » À Molsheim, il faut s’arrêter. La nuit nous enveloppe et d’ailleurs où allons-nous ? En principe à Colmar où Castelnau va entrer : Colmar, Castelnau, deux attractions singulièrement prenantes ; mais ce soir-là, le bruit court que, devançant l’heure, une armée française va entrer à Strasbourg qui, depuis trois jours, appelle à l’aide dans un frémissement à chaque heure plus fébrile d’attente et d’amour. Dans la petite ville si pittoresque, il y a un bruissement d’armes et de danses. Tout y sent encore la fête de l’entrée que j’ai dite plus haut. Sous un ciel d’hiver magnifique, d’un bleu sombre, mais piqué d’étoiles, les fanfares retentissent et les Marseillaises, mais les officiers de l’état-major s’attendent pour demain à fête plus belle encore. Le nom de Strasbourg court dans la division, comme celui de Jérusalem parmi les croisés quand, à Bethléem, ils prévoyaient l’entrée avant quelques heures, dans la ville sacrée.


LOUIS MADELIN.