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cette décision tardive une preuve qu’il obéissait à une vocation factice ? On l’a souvent prétendu. Encore qu’une pareille question, qui touche aux mystères les plus impénétrables de la conscience individuelle, soit dans son fond peut-être insoluble, — elle l’eût été d’abord, et peut-être surtout, pour Lamennais lui-même, — il n’est pas impossible aujourd’hui d’en préciser les données et de fournir à nos intuitions, à nos conjectures, à nos impressions personnelles, une base d’opérations plus solide et plus large que celle sur laquelle, jusqu’à ces dernières années, les critiques fondaient leurs opinions respectives.

Et d’abord, à quelle époque l’idée de la prêtrise a-t-elle surgi dans l’esprit de Lamennais ? Une lettre de l’oncle des Saudrais retrouvée par le P. Roussel et citée par lui dans son livre sur Lamennais et ses correspondants inconnus fait une allusion très claire à ce projet dès le mois de juillet 1806. Je ne serais point étonné qu’il datât du jour ou du lendemain de la conversion. Ce devait être là, — on peut, je crois, le conjecturer sans témérité, — le vœu secret de l’abbé Jean, et, formulé ou non, une âme ardente et généreuse comme celle de Félicité, une âme d’apologiste avant la foi, ne pouvait guère manquer de l’accueillir avec transport. À peine converti, notons-le, Félicité s’associe aux travaux, aux préoccupations, aux études de son frère ; visiblement il se prépare à son œuvre apologétique, en ramassant des matériaux contre les « philosophes : » la première lettre que nous ayons de lui (11 janvier 1806), au baron de Sainte-Croix, est pour reprocher à cet historien son scepticisme en matière de miracles ; son premier écrit public est cet opuscule anonyme des Réflexions sur l’état de l’Église de France au XVIIIe siècle et sur sa situation actuelle (1808), qui fut promptement saisi par la police impériale ; l’année suivante, il publiait une traduction du Guide spirituel du bienheureux Louis de Blois ; et la même année (1809) il recevait les ordres mineurs.

Nous étonnerons-nous qu’il ait mis trois, et peut-être cinq ans à se résoudre à une démarche de cette nature ? M. Maréchal, qui a une double thèse à démontrer, triomphe un peu bien vite là-dessus. Pour lui, Lamennais est un « romantique, » un disciple effréné de Rousseau, et qui, comme tel, ne peut consentir à aliéner, à sacrifier son « moi, » à ensevelir son impérieuse personnalité dans l’ombre et l’humilité du sanctuaire ; il est, de plus, — et je crois bien qu’ici on reprend en