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nonciature, le texte de l’encyclique Mirari vos, qu’accompagnait une lettre de Pacca. « Il y a une encyclique du pape contre nous, dit-il à Lacordaire ; nous n’avons qu’à nous soumettre. »

Cette sage résolution, on le sait, ne devait pas durer. Aurait-on pu, en procédant différemment, même avant l’encyclique, éviter l’éclat final ?


Je me suis souvent étonné, — a écrit Lamennais dans les Affaires de Rome, — que le pape, au lieu de déployer envers nous cette sévérité silencieuse dont il ne résultait qu’une vague et pénible incertitude, ne nous ail pas dit simplement : « Vous avez cru bien faire, mais vous vous êtes trompés. Placé à la tête de l’Église, j’en connais mieux que vous les besoins, les intérêts, et seul j’en suis juge. En désapprouvant la direction que vous avez donnée à vos efforts, je rends justice à vos intentions. Allez, et désormais, avant d’intervenir dans des affaires aussi délicates, prenez conseil de ceux dont l’autorité doit être votre guide. » Ce peu de paroles aurait tout fini. Jamais aucun de nous n’aurait songé à continuer l’action déjà suspendue.


C’est là ce que le P. Dudon, à aucun prix, ne saurait admettre. L’obstination orgueilleuse de Lamennais est pour lui un dogme, une de ces évidences psychologiques qui doivent s’imposer aux esprits les plus prévenus. Cette idée « d’une scène évangélique se déroulant dans un salon du Vatican, à la première rencontre de Grégoire XVI et de Lamennais » lui inspire une douce et peut-être peu « évangélique » gaîté. Car enfin, si cette scène avait eu lieu, — et peut-être sous Léon XII ou sous Léon XIII aurait-elle eu lieu, — ni le P. Dudon, ni moi, nous ne savons ce qui aurait pu en résulter. En tout cas, Lamennais n’aurait pas eu le droit d’écrire la page un peu inquiétante que nous venons de rappeler ; et peut-être eût-il été habile et charitable tout ensemble de ne pas lui laisser ce droit. Lamennais, — c’est un mot de Léon XII que le P. Dudon n’a pas cru devoir citer, — était « un homme qu’il fallait conduire avec la main dans le cœur. » De plus, ce n’était pas, si j’ose le dire, une âme « protocolaire. »


Ayant la nuque dure aux saluts inutiles,
Et se dérangeant peu pour des rois inconnus,


resté très plébéien d’allures et d’idées, comme il l’était de tempérament et d’hérédité, peu diplomate, assez peu théologien.