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à travailler pour eux, » a déclaré M. Ragheboom à la séance de la Chambre du 22 octobre 1918.

« Dans la région de Douai et je suppose qu’il en fut de même dans toute la France envahie, dit un de ces enfants, Jean R... les Allemands, ayant besoin de main-d’œuvre, firent, au mois de mai 1917, passer un ordre dans toutes les Kommandanturs. Ils demandaient des travailleurs volontaires pour travailler dans les tranchées. Personne ne s’étant présenté, les Boches, dans chaque village, ont dressé des listes d’une cinquantaine de travailleurs pris dans toutes les conditions et ayant de quinze à soixante ans. »

Impossible de ne pas répondre à l’appel, car, tous les mois, les hommes étaient contraints de se présenter à la Kommandantur et d’y faire viser leur carte : « A Lille, dit un jeune Lillois, Etienne H..., le visa était fait rue de Pas, au bureau de l’A. O. K. 6. Des policiers surveillaient le défilé, et si l’on oubliait de se découvrir dans le couloir, si l’on fumait, si l’on mettait simplement la main dans sa poche ou si l’on prononçait un mot [1], on pouvait s’attendre à recevoir une gifle ou à être emmené au poste de police de la « Mondiale » pour y être condamné à de la prison ou à une amende. »

Quand Etienne H... fut désigné pour partir, il venait d’avoir quinze ans : « Un jour, je reçus avis d’avoir à me présenter cour des Boudoirs. Quand j’y arrivai, il y avait des quantités de jeunes gens de mon âge ; beaucoup étaient, comme moi, des écoliers, faisant leurs études. Nous étions six cents. On nous fit passer un conseil de révision. Quatre cents furent reconnus bons pour le travail. Un officier nous dit que, le lendemain, nous devions revenir, à huit heures, avec notre paquet : deux chemises, un col, une cravate, une paire de gants, un costume de travail, un pardessus, deux couvertures, deux paires de chaussettes et une paire de bons souliers de travail. » A cette époque où, dans la région occupée, on en était à faire des chaussures avec du carton et de la toile, cette dernière recommandation est d’une ironie vraiment cynique.

Le lendemain arrive. Les enfants ont dit adieu à leur famille. S’il y a eu des larmes répandues, nul ne s’en aperçoit,

  1. A Marcq-en-Bareul, raconte le jeune Leclerc, mon voisin me chuchote : « Viens. » Je n’entends pas ; je lui demande ; « Qu’est-ce que tu dis ? » J’attrape trois jours de citadelle.