Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 50.djvu/206

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— de travailler. D’autres sont tombés gravement malades. » Un Lillois, l’abbé D..., a raconté que des prisonniers étaient mis, « en pâture, » avec des vivres et une gourde pleine a leurs pieds. Ils n’avaient qu’à se baisser pour apaiser la faim, la soif qui les torturaient. Ce geste était le signe de leur soumission. Bien peu l’ont fait. Pourtant, à mesure que le supplice se prolongeait, son horreur allait croissant. Ah ! si seulement on pouvait être fusillé ! On souffrirait une seconde, puis tout s’abîmerait. Ce serait fini.

— Tuez-nous ! Tuez-nous par pitié ! crient les captifs à leurs bourreaux. Mais eux :

— Jamais de la vie ! Nous avons besoin de travailleurs. » Si un mot, si un geste « irrespectueux » échappe aux victimes, alors, c’est l’enfer qui s’ouvre, c’est le bataillon de discipline : « J’étais dans la forêt de Velu, près de Bapaume, écrit Robert M... (quinze ans) ; nous logions dans les tentes laissées par les Anglais. On voulut nous forcer à creuser des tranchées. Avec cinq de mes camarades, je refusai :

— Nous sommes Français, nous ne travaillerons jamais pour les Boches !

« Le lieutenant à qui nous avions ainsi répondu fut furieux. Il dit :

— Vous n’oserez pas répondre ça au commandant.

« Il le fit venir, mais celui-ci reçut la même réponse. Alors, il ordonna que nous serions condamnés pour six semaines aux bataillons de discipline de Sedan ; il dit que nous avions été très malhonnêtes, que nous l’avions insulté, en nous servant du mot boche, que nous souffririons beaucoup à Sedan, mais que c’était bien fait, que nous l’avions cherché et que personne ne nous plaindrait. »

A ces bataillons de discipline, les condamnés atteignent jusqu’au fond de la misère où peut descendre un être humain

Logés tout en haut de la citadelle, « avec je ne sais combien de marches à monter, » pour rendre plus difficile toute tentative d’évasion, ils sont réveillés, chaque jour, à trois heures du matin. Ils descendent. Pendant deux heures, au froid, à la pluie, il leur faut faire queue pour avoir un peu de jus. Puis, on les emmène au travail. A la gare, ils doivent décharger des ballots de foin comprimé pesant cent vingt kilos. Leurs bras minces sont trop faibles pour un tel effort. N’importe, ils