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C’est à propos de Louis XVI. Le roi malheureux, avec toutes ses intentions les meilleures, fait le plus triste personnage depuis qu’a éclaté la Révolution. Pas un instant il n’a cessé d’être inégal à son devoir ou sa besogne qui est de gouverner. Il ne gouverne pas : on ne peut appeler gouverner, l’habitude qu’il a de subir les journées les unes après les autres, et de céder lentement sur tous les points où il semblait avoir résolu de s’établir. Les circonstances sont telles que de plus forts et plus matins s’y fussent perdus. Mais lui ne lutte pas : ce n’est pas lutter, que de n’inventer jamais le stratagème d’une attaque. Ses bonnes qualités ne servent qu’à lui donner des scrupules : autant de retardements ; il hésite et il gaspille même le bénéfice de ses complaisances. On le plaint et l’on se lasse de le plaindre. Somme toute, il est un roi : qu’il règne ! ou qu’il s’en aille ; sa faiblesse a trop de conséquences, dont pâtit le royaume présentement et pour de très longues années. Soudain, le 20 juin 1792, Louis XVI passe de la faiblesse à l’énergie. Les énergumènes ont envahi les Tuileries ; les menaces, les insultes, les piques n’ont pas effrayé le roi, ne l’ont pas fait pâlir ou trembler. Il a dit à l’un de ses grenadiers : « Mettez la main sur mon cœur et voyez s’il bat plus vite. » Sur les six heures, après deux heures abominables, arrive Pétion, qui s’excuse hypocritement : « Sire, je viens d’apprendre la situation dans laquelle vous êtes... » Le roi répond : « C’est étonnant ; il y a deux heures que cela dure. » Il ne demande pas à Pétion de le secourir. Les énergumènes crient : « La sanction la sanction ! » Mais il n’accordera pas la sanction que l’on réclame et dont le refus lui coûtera probablement la vie. Pourquoi ? Est-ce une idée de politique ? C’est une volonté de conscience : « Ce fut, dit M. Pierre de La Gorce, le Non possumus du chrétien, non le fier refus d’un roi. » Louis XVI, une demi-année avant de mourir, devient-il un roi ? Il devient un confesseur de la foi chrétienne. Il endure, en quelque sorte, sa passion, comme endurent la leur les martyrs à l’imitation du Christ : « Le peuple armé de piques qui avait rempli les Tuileries rappelait cette autre foule armée de bâtons qui avait vociféré ses insultes dans le prétoire de Jérusalem ; l’humiliation du bonnet rouge figurait assez bien la dérision de la couronne d’épines et Pilate se retrouvait dans Pétion, » Mais il fallait un roi sur le trône de France, non pas un confesseur ? « Dans la suite des rois de France, l’histoire s’est accoutumée à honorer ceux qui ont su vaincre, ceux qui ont su négocier, ceux qui ont su mettre à profit les chances heureuses on lasser, à force de sagesse et de patience, la mauvaise fortune elle-même... »