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sur la ligne de feu. Si les plus puissantes armées allemandes, celles dont on affecte de ne pas tenir compte et qui, pourtant, étaient destinées à frapper le coup de massue, ont été dans l’impuissance de conduire rondement la campagne qui, d’après les ordres surpris, devait les mener, dès le début de septembre, dans la région de Dijon, si ces armées ont été arrêtées de façon à combattre vainement pour l’Argonne à la bataille de la Marne, c’est aux résolutions énergiques, prises dès le début de la guerre, qu’est dû cet avantage. L’effet stratégique doit être apprécié non pas seulement sous une de ses faces, mais par l’ensemble de ses résultats.

En étudiant spécialement la bataille de Charleroi, nous avons dit comment, à l’Ouest, Joffre échappe au traquenard qui lui était tendu en Belgique, comment il interdit aux armées allemandes le grand tour vers Dunkerque qui les eût rendues maîtresses de la côte et, sans doute, de la Basse-Seine [1], comment il ébranla les armées de von Kluck et de von Bülow, de telle sorte qu’elles ne reprirent jamais complètement leur équilibre. Mais l’offensive de Charleroi contrariée, il faut le reconnaître, par le retard de l’armée anglaise et par certaines maladresses tactiques, fut plus efficace encore : elle attira l’armée von Kluck, l’armée von Bülow et l’armée von Hausen dans le recul des armées alliées qui les avaient empoignées à la gorge et étaient décidées à ne plus les lâcher ; et, dès lors, c’est la manœuvre allemande qui se trouve manœuvrée. A partir du 25 août, Joffre a dicté l’Instruction générale qui lui permet de préparer la bataille de la Marne. Il faut donc admettre que les offensives du 20-24 avaient eu leur très grande importance et obtenu de réels résultats.

En un mot, grâce à la bataille des frontières hors de France, l’avantage initial des Allemands, le coup de surprise de la Belgique, la supériorité numérique due à leur préparation dissimulée, la conception formidable du grand plan en tenaille, tout cela était conjuré ; Nancy et Verdun sauvés, le terrain était déblayé pour la bataille décisive qui allait sauver Paris.

Et, de tout cela, le Commandement français était parfaitement conscient.

  1. Sur ce point, voir les aveux de von Kluck cités ci-aprèx.