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nation est l’enjeu, » la coopération de tous, corps et âmes, est immédiate, unanime, foudroyante. Un instant Joffre a eu la pensée de conserver une réserve générale, le 21e corps. Mais la force même de son élan l’emporte, et le 21e corps lui-même est pris dans le tourbillon. Le drame est déchaîné.


Une fois les ordres militaires donnés, le général en chef résume sa pensée dans un télégramme au ministre, daté du 5 septembre, qui n’est que la suite et le développement de la dépêche du 3 septembre. C’est ici que la raison cartésienne appuyée sur les faits et développant les séries, s’affirme dans sa forte et lumineuse expression :


« La situation qui m’a décidé à refuser une première fois la bataille générale et à replier nos armées vers le Sud s’est modifiée de la manière suivante :

« Ire armée allemande a abandonné direction Paris et a infléchi sa marche vers Sud-Est pour chercher notre flanc gauche. Grâce aux dispositions prises, elle n’a pu trouver ce flanc et 5e armée se trouve maintenant au Nord de la Seine prête à aborder de front les colonnes allemandes.

« A sa gauche, les forces anglaises sont rassemblées entre Seine et Marne, prêtes à l’attaque. Elles seront elles-mêmes appuyées et flanquées, à gauche, par forces mobiles garnison Paris agissant direction Meaux de manière à la garantir contre toute crainte d’enveloppement. La situation stratégique est donc excellente et nous ne pouvons compter sur des conditions meilleures pour notre offensive. C’est pourquoi, j’ai décidé de passer à l’attaque...

« La lutte qui va s’engager peut avoir des résultats décisifs, mais peut aussi avoir pour le pays, en cas d’échec, les conséquences les plus graves. Je suis décidé à engager nos troupes à fond et sans réserve [1] pour conquérir la victoire [2]. »

Un chef qui s’exprime ainsi, alors que ses dispositions sont arrêtées, ses ordres lancés et qu’il a pris sur lui de jouer le sort du pays aux lieu et heure qu’il a choisis, assume les plus lourdes responsabilités. Et il le sait. Il ne cherche pas de faux- fuyant. Son intelligence, son cœur, son patriotisme, tout le

  1. Cfr. L’instruction sur la conduite des Grandes unités, art. 7, cité ci-dessus.
  2. A. Millerand, Le Maréchal Joffre. Conférence du 29 janvier 1919.