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de quarante-huit heures, et tout naturellement, comme un colonel entre à la tête de son régiment, il avait résolu de pénétrer dans Strasbourg à la tête de ses troupes, de les passer en revue sur quelque place, après avoir salué Kléber, et de repartir, en laissant une forte garnison, pour son Quartier général d’Obernai.

Mais la cité entendait bien que cette entrée des soldats de la Grande Guerre et d’un si illustre chef ne fût point simple apparition, mais vraiment la rentrée de la France à Strasbourg et une reprise de possession totale, que, partant, Gouraud parût au palais de l’Empereur désaffecté, à l’Hôtel de Ville refrancisé, et, une fois de plus, les circonstances emportaient les hommes. L’enthousiasme de la foule ferait le reste pour que ce défilé de quelques troupes dans la capitale fût la plus mémorable des entrées de la France en Alsace-Lorraine.

Le 20, la nervosité s’était encore augmentée de l’afflux grossissant des prisonniers français renvoyés par les Allemands et remplissant déjà la cité de leurs uniformes flétris, usés, pitoyables. Ce spectacle émouvant surexcitait les cœurs jusqu’au paroxysme. J’ai dit quel accueil on leur avait fait. Mais, à mesurer les sentiments qu’ils inspiraient, on ne souhaitait qu’avec plus d’impatience les autres soldats, — les vainqueurs de 1918, les libérateurs de l’Alsace. En attendant, comme à Metz le 18, les pavés se soulevaient : la statue colossale de Guillaume Ier roulait de son socle devant le Palais Impérial, et à coups de marteau, on achevait le vieil Empereur : sa tête était portée par des étudiants en délire devant la statue de Kléber, car ce grand soldat de France, en attendant Gouraud, Pétain, Foch, devenait tous les jours davantage le centre des sympathies tourbillonnantes. Mais n’allaient-ils pas enfin arriver ?

Or soudain, le 21, à dix heures du matin, très simplement, un peloton de quarante hommes du 25e de ligne commandé par le capitaine Muller, était apparu, sans tambours ni trompettes, sur la place Kléber pour prendre possession du corps de garde où, tant et tant d’années, on avait vu, sous le regard du vainqueur d’Héliopolis, la garde montante allemande relever, au pas de l’oie, la garde allemande descendante. Cette fois la garde allemande était bel et bien relevée, et pour toujours, à l’alerte pas de France.