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peut-être, physiquement et moralement, — car son rôle magnifique en la dernière bataille de France se savait, — le chef le plus propre à surexciter un sentiment déjà prêt à se monter, en face de quelque chef français que ce fût, jusqu’au plus haut diapason.

Derrière l’état-major de la 4e armée, le général Vandenberg, commandant le 10e corps, précédait la 20e division (général Desvoyes) et la 131e (général Chauvet), et sa physionomie très française, avenante, souriante, déchaînait derechef la tempête d’acclamations, qui, soulevée par Gouraud, n’avait guère eu le temps de se calmer.

De Gouraud j’entendis dire, le soir : « Il a l’air d’un chevalier-moine ; » de Vandenberg : « Il ressemble à Henri IV. » C’étaient deux aspects qui, encore que différents, reléguaient l’un et l’autre, comme figures de cauchemar, dans le passé les « têtes carrées » des généraux a hautement bien nés » de l’Empire germanique. « Enfin, monsieur, me disait un brave homme dans son exaltation, enfin, monsieur, est-il possible de penser que le même Créateur a fait le général Gouraud et le général Ludendorff ? » Je laisse cette pensée, peut-être audacieuse, aux méditations des exégètes. Elle donne simplement la note à laquelle était montée la foule, dans ses éléments les plus raisonnables.

C’est au milieu de cette sympathie vite muée en une sorte de tendresse exaltée, que Gouraud s’avançait, droit, haut, grave, l’œil un peu fixe, à travers les avenues, les ponts, les rues, les places de Strasbourg reconquis, ne s’arrêtant que devant Kléber qu’il saluait d’un geste magnifique. Le ciel était pur, l’air hivernal bientôt adouci, le soleil brillant ; les drapeaux par milliers s’agitaient doucement à la brise fraîche d’une merveilleuse matinée ; les fleurs, à la vérité moins abondantes qu’à Mulhouse, tombaient en gerbes énormes ou en petits bouquets autour du cheval, et aux acclamations formidables qui s’élevaient des trottoirs répondaient celles des croisées où s’agitaient mouchoirs et écharpes ; parfois c’était comme un chant d’amour mouillé de larmes, parfois comme une clameur stridente de joie, parfois c’était une sorte d’ « ouragan, » — le mot fut dit par un journal allemand, — un ouragan qui faisait s’agiter les drapeaux, si formidable que, de leur aveu, l’écho de cette tempête allait chercher au fond de leur appartement