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des grands soldats de notre histoire. Le vainqueur de Nancy entra donc à Strasbourg à côté du vainqueur de Verdun, et tout à l’heure on allait voir derrière le maréchal se ranger Fayolle, Maistre, Gouraud, Debeney, Humbert, presque toute la pléiade des grands chefs qui depuis le printemps de 1918, dans la défensive et dans l’offensive, avaient mis en déroute les plans allemands. Dans le cortège même, Gouraud seul représentait, avec le major général des armées, le général Buat, cette illustre escorte qu’on allait voir surgir aux côtés de Pétain sur la place de la République.

Derrière celui-ci, une magnifique suite de troupes ; la célèbre 38e division Dufieux étalant fièrement ses fourragères d’élite, la 131e Chauvet, tout entière, déjà acclamée le 22 et après ces régiments de blancs et de noirs, des troupes asiatiques, des territoriaux, de l’artillerie de montagne, la 60e division Jacquemot, les lourds canons à tracteur, les chars d’assaut, le 13e hussards. Et quand Pétain fut parvenu sous une assez belle pluie de fleurs et au milieu d’acclamations (dont il me parut qu’elles étaient moins folles que celles du 22), devant le palais ci-devant impérial, j’eus l’impression que nous allions assister au défilé de troupes le plus enlevé qu’homme au monde eût jamais vu. Et mon attente ne devait pas être déçue.

La 38e, l’ancienne division Guyot de Salins, est une division illustre : deux de ses régiments, zouaves et tirailleurs, portent une fourragère rouge gagnée dans les grandes batailles depuis 1914 : son bataillon de chasseurs vaut ces troupes d’élite. Mais à vrai dire, on songeait peu à établir des bilans : tout ce qui allait défiler là, ces vingt unités, zouaves, tirailleurs, fantassins de ligne, tirailleurs annamites, braves territoriaux du 84e, les soldats de l’artillerie lourde et de l’artillerie d’assaut, apparaissait aux Strasbourgeois comme un microcosme merveilleux de notre splendide armée, et c’était l’Armée française entière que, sans nous lasser, nous acclamions.

Parfois un détail surexcitait l’ardente et tendre curiosité de la foule : les chasseurs passèrent devant le maréchal, vieux chasseur à pied lui-même, à une allure telle qu’on disait près de moi : « Ils volent ; ils ne touchent pas le sol, » et d’ailleurs leurs clairons sonnaient à réveiller des morts.

Le son bizarre, sauvage et grêle, de la nouba, signalant de loin l’arrivée des tirailleurs, fit passer un singulier frisson :