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vient à défiler le d’infanterie, musique en tête, clairons et tambours sonnant. Le pauvre vieux a failli s’évanouir dans mes bras et pleurant comme un enfant, il s’est affalé sur ma poitrine en disant : « Oh ! que je suis heureux ! Oh ! les braves ! je vais donc pouvoir mourir avec eux (sic) ! » C’est le Nunc dimittis qui se répète mille fois, dix mille fois en ces jours d’émotion : « Ce que je suis contente (sic), écrit une vieille Lorraine, c’est que je mourrai Française et j’en remercie le bon Dieu. » A Remilly, le général Leconte, commandant le 33e corps, voit étendue sur une civière, au passage des troupes, une vieille religieuse ; il s’approche : « Monsieur le général, j’ai failli mourir, il y a huit jours, et je me disais : Le bon Dieu veut sans doute me punir de grandes fautes, puisqu’il ne me permet pas de voir rentrer les Français. Eh ! bien, le bon Dieu est bien le bon Dieu... Vous voilà. Je vous ai vus. Je peux bien mourir maintenant. » Quelques braves gens, cependant, loin de demander à Dieu de les reprendre, le supplient de les faire vivre vieux. « Papa a soixante-huit ans... Il voudrait avoir vingt ans de moins maintenant que les Français sont parmi nous. » Et que de parents morts les enfants évoquent qui « devraient être là. : » « Si seulement le grand-père avait encore pu voir ce défilé, lui qui était si grand Français ! » — « Ne trouvez-vous pas, dis-je à un Strasbourgeois, que nos fanfares sonnent ici à réveiller les morts ? — C’est que, monsieur, me répond gravement ce digne homme, c’est qu’il faut en effet les réveiller tous, pour qu’ils vous voient. »

Ailleurs la joie se traduit en termes moins graves. « Ah ! mon capitaine, dit un homme du peuple à un des officiers le soir du 22 à Strasbourg, je suis si content que je voudrais sauter dans le ciel. » A quoi un autre dit : « On n’’y serait pas mieux cependant. » Une exaltation extrême règne, c’est « un délite de joie, » écrit-on de toutes parts, « Une joie telle qu’elle ne pourra être plus grande en entrant au ciel. » « Voilà enfin notre rêve accompli... Notre joie ne connaît pas de bornes ; ne voir désormais que des soldats français : Ne vivre que pour la France, oh ! quel bonheur ! » — « C’est « une béatitude, » on « se croirait au paradis. »

Parfois on ne peut croire à ce bonheur. On a peur de rêver. « Le matin, en me réveillant, je cours à ma fenêtre, je regarde dehors et, en voyant passer nos chers poilus, je me recouche et