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Dans la douleur profonde, la leçon amère de la mort pénètre les deux cœurs[1]. Et Pétrarque dit à son frère :


Bien tu vois désormais comme court à la mort
toute chose créée, et combien l’âme
doit s’en aller légère au périlleux passage !



S’il poussait ainsi les autres sur la route du salut, il mit du temps, quant à lui, à se sentir « l’âme légère. » Que de fois il se désole !


Je suis si las sous l’antique fardeau
de mes péchés et de l’habitude mauvaise,
que j’ai grand peur de fléchir sur la route.


À ses yeux a déjà paru, dans sa bonté, souveraine, ineffable la figure du Sauveur, qu’il appelle le « Grand Ami. » Il l’a vu, il a entendu sa voix : il n’a pas su le retenir. L’ami s’est envolé hors de sa vue. Pourtant l’ami reviendra, si le pécheur sait l’appeler encore. Il lui faudrait pour cela une force nouvelle, une faveur du ciel, une prédestination :


Quel amour, quelle grâce, ou quelle destinée
me donnera comme à la colombe, des ailes ?


Nous le trouvons plongé aux abîmes de la prière. Il y a un sonnet du Vendredi saint qui commence par les mots : « Père du ciel. » Le pénitent déplore ses « jours perdus. » Il songe au retour de ces jours saints et bénis, en lesquels, jadis, frivole pèlerin, il avait fixé l’aurore de son amour coupable.


XIII

Entre tous les départs qui ont fait couler les larmes poétiques, un départ est plus plaintif que les autres, par une sorte de pressentiment : c’est celui qui justement précéda la mort de Laure. Ce départ, d’ailleurs, pouvait sembler définitif. Lorsque Pétrarque quitta la France en 1347, il y avait apparence qu’il n’y reviendrait pas de longtemps, si même il y revenait jamais.

Pendant les mois qui suivirent la séparation, il vécut dans

  1. Pour Gherardo, la leçon fut si durable qu’un peu plus tard il entra, pour la fin de sa vie, à la Chartreuse. J’ai raconté tout cela jadis, dans un livre, que je ne veux pas entr’ouvrir plus que les autres.