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la tristesse et fat assailli souvent de pensées funèbres. Dans son âme, que possède toujours l’amour, les craintes et les doutes se heurtent aux troubles du repentir et de la prière incertaine. De là sont sortis quelques-uns de ses poèmes les plus touchants. La critique en a naturellement contesté la sincérité. Il y a ici, dit-on, une construction postérieure, ‘une ingénieuse invention de circonstances factices. Car il est toujours difficile de croire que les pressentiments soient choses réelles !

Après tout, peu importe, puisque nous cherchons ici la vérité lyrique et non celle de l’histoire. Elle se suffit à elle-même pour l’instant. Certes je n’en voudrais aucunement à un poète d’art subtil, s’il avait imaginé des circonstances factices pour exprimer des sentiments vrais !

Mais ici, je suis tenté de croire qu’ils sont vrais absolument, et je me demande si ce n’est pas la critique qui imagine ! Les mois que Pétrarque passe dans l’Italie du Nord, après ce dernier départ, sont ceux, sachez-le bien, où éclate sur l’Europe ce mal, qui jette au tombeau des morts par milliers, la Peste noire.

En un pareil danger, est-il bien surprenant que la pensée du rêveur ait couru, pleine de crainte, vers celle qu’il avait laissée en arrière :


Toujours j’écoute, et je n’entends nouvelles
de ma douce, de ma bien-aimée ennemie !
Je ne sais plus que penser ni que dire.


Dans les jours d’inquiétude, il a dans l’âme, avec la pensée des beautés de Laure, celle surtout de ses vertus, — rares et sévères vertus, qu’il louait déjà, aux jours où elles lui arrachaient toute espérance I Laure est le modèle de l’honneur féminin, en même temps que de la beauté et du charme élégant. La noblesse de son sang n’ôte rien à sa simplicité modeste, ni sa haute intelligence à la limpidité de son cœur. Elle sait être à la fois jeune et sage, réfléchie et riante.

La dernière fois que Pétrarque l’a vue, avant de quitter la France, elle n’était pas telle que de coutume. Elle était vêtue de couleur sombre, on ne savait pourquoi. Ce n’étaient plus « les perles, les guirlandes, les étoffes gaies. » Elle était belle toujours, — certes, — mais avec une expression lointaine, énigmatique :