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Je la revois : elle est debout, tout humblement
parmi les belles dames ; ainsi qu’est une rose
parmi de moindres fleurs ; — ni joyeuse, ni triste,
comme une qui a peur, mais n’a pas d’autre mal.


Ces sombres pensées d’amour, de vie, de mort, mènent le poète à une méditation grave, à une confession découragée. C’est la matière d’une longue et sublime Chanson, écrite pendant les jours d’attente inquiète, en face de la mort présente. On pourrait l’appeler la Chanson de la grande Peste.


Je vais pensant, et en pensant m’assaille
Une pitié de moi-même, si forte
qu’elle me conduit souvent
à d’autres pleurs que ceux dont j’eus coutume.


Ce ne sont plus de vains pleurs sur de vaines douleurs ; ce sont les pleurs du pécheur devant sa faute, dans l’attente du juge. La conscience lui parle et lui montre que le temps presse. Il médite pendant les veilles silencieuses de la nuit, par une belle nuit étoilée d’été. Songe, lui dit sa conscience, à contempler la béatitude, céleste, éternelle,


en contemplant le ciel qui tourne autour de toi
immortel et paré !


Mais l’appel ne peut pas encore vaincre sa volonté. Trop de chimères encombrent son esprit, et qu’il ne peut en chasser. Il y a d’abord l’amour de la gloire, fumée d’orgueil, nuée vaine, qu’un souffle emportera, alors même qu’après lui son nom serait encore, comme il dit, loué dans « le grec et le latin » ! — Il le sait bien ! mais, pour nuage, pour fumée que ce soit, il n’y peut renoncer. Il en est possédé : cet amour ne le quitte pas, ne l’a jamais quitté et ne le quittera jamais :


Depuis le temps où je m’endormais dans les langes,
il me suit, grandissant chaque jour avec moi.
Je crains qu’un seul tombeau nous enferme tous deux !


Cependant le désir de la gloire n’est pas son pire ennemi. Ce qui retient son cœur loin du bien et du pardon, c’est un autre amour que lui interdit la loi divine :


Aimer une chose mortelle, avec la foi
qui à Dieu seul est due, et à lui seul convient !