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On ne les sépare pas l’une de, l’autre. Il y a une incroyable unité, dans ce recueil de fragments, qui devraient être disparates.

Pour commencer, l’amant désolé ne pouvait que gémir. Les premières pièces de la seconde partie ne sont que de deuil. Quand il finit l’une de ces pièces-là, et qu’il prend « congé, » suivant la coutume, de sa Chanson, en lui parlant comme à une personne vivante, il lui dit :


Fuis le ciel clair et la verdure ;
n’approche pas les lieux où l’on rit et l’on chante,
O ma Chanson ! — ou plutôt, non, — ma plainte !
O veuve inconsolée, en robe noire !


Mais il lui reste un autre devoir. En discours lumineux, il ne cesse de rappeler, de vanter mille fois, les beautés, et les vertus, disparues à jamais.


Où est le front qui, par le moindre signe,
tournait mon cœur d’un côté et d’un autre ?
Où les beaux cils, et l’une et l’autre étoile,
qui au cours de ma vie ont donné la lumière ?
Où la vertu, le savoir, la sagesse,
la parole avisée, honnête et humble et douce ?
où les beautés en Elle réunies,
qui si longtemps ont fait leur volonté de moi ?
Où est l’ombre gentille du bienveillant visage,
qui donnait repos, loisir, à mon âme lasse,
et en quoi tous mes pensers étaient écrits ?
Où est celle-là qui tint en sa main ma vie ?
Ah ! qu’elle manque à ce pauvre monde ! Elle manque
à mes yeux qui jamais ne se sécheront plus !


Un jour, un peu plus de trois ans après la mort de Laure, des circonstances involontaires ont ramené Pétrarque au delà des Alpes. Il revoit Vaucluse. Les souvenirs chers l’y entourent : tout ce qu’il voit lui parle des anciens jours. C’est la source, le fleuve, le grand rocher, les coteaux, la campagne. Ce sont les fleurs, les arbres fruitiers, les lauriers, le grand chêne sombre, le gazon qu’ont foulé les pieds délicats, l’herbe où Madame s’est assise, où sur elle ont neigé les fleurs. En cette solitude peuplée de souvenirs, un nouveau flot de poésie déborde du cœur et des lèvres :