Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 50.djvu/456

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pas à germaniser, elles expulsaient, et cette habitude s’est perpétuée ; on fabriquait, au moyen d’arguties, des « sans-patrie, » hjemlöse, c’est-à-dire qu’on enlevait aux gens leur qualité d’Allemands sans qu’ils devinssent Danois pour cela ; s’ils se mariaient, s’ils établissaient un commerce, on leur interdisait le séjour et on les conduisait à la frontière. Enfin, on voulut exproprier ce peuple profondément attaché à sa terre et qui n’a guère d’autre occupation que la culture. Environ 60 000 jeunes gens étaient partis. L’Allemagne poursuivait en Slesvig l’idée, qui lui est si chère, de vider de leurs habitants les pays qu’elle annexe. La chose faite, on peut alors sans danger adopter le principe du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes et laisser faire un plébiscite.


La résistance du Slesvig septentrional fut d’abord spontanée et violente, puis elle s’organisa. « Le fil rouge qui passe à travers toute la politique des Slesvigois depuis le malheur de 1864 jusqu’au jour d’aujourd’hui, a écrit un de leurs députés, Gustav Johannsen, est le désir, l’indéracinable espérance de retourner au Danemark. » C’est dans les maisons, une fois les portes fermées, que se conservaient la langue danoise, le souvenir et l’amour du Danemark. Le maître d’école était le premier instrument de germanisation ; ses émoluments étaient augmentés si son travail portait des fruits. Mais il trouvait dans les enfants de paysans, sérieux et volontaires, élevés dans l’épreuve, des consciences qui ne pliaient pas. En écoutant les récits historiques arrangés à l’allemande, plus d’un élève instruit par ses parents s’est écrié : « Ce n’est pas vrai. » On rapporte qu’à Tönder, un instituteur avait coutume de faire ajouter au Pater : « Le Slesvig est mon pays, l’Allemagne ma patrie. » Un jour, le petit garçon qui avait dit la prière changea la formule pour celle-ci : « Le Slesvig est mon pays, le Danemark ma patrie. » Le maître se mit dans une grande colère, traita l’enfant de Verfluchter Dänenjung, damné Danois, mais l’appendice fut désormais supprimé.

Quand les jeunes Slesvigois avaient achevé leurs années d’école obligatoires ou même beaucoup plus tard, si les circonstances ne l’avaient pas permis plus tôt, à vingt, à trente, à quarante ans, ils allaient, pendant un hiver, suivre des cours