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devant lui. Partout à la tête des tribus ou des fractions de tribus, il a placé ses enfants et ses neveux, qui font peser sur les biens et les personnes l’arbitraire le plus absolu. Sa fortune s’élèverait, parait-il, à plusieurs millions, tant en troupeaux qu’en argent, — vieilles pièces d’or de cent francs, à l’effigie de Louis XIV et de Louis XV, doublons espagnols, douros portugais, voire des écus tournois, comme en étaient remplis les coffres qu’en septembre 1914, nos spahis trouvèrent dans son camp, lorsqu’ils l’emportèrent d’assaut. On raconte que dans ses kasbahs de terre rouge, il mène une vie dissolue, et que ce septuagénaire n’admet dans son harem que des femmes de dix-sept à vingt ans. Mais en dépit de tout cela, il jouit d’un prestige immense : prestige de l’homme fort chez des gens qui n’estiment rien autant que la force, prestige de l’homme riche au milieu de populations très pauvres, prestige enfin que revêt aux yeux de tout ce monde si attaché à ses coutumes, le chef assez puissant et audacieux pour les violer.

Au cours de la dure campagne que nous menons depuis tantôt dix ans contre lui, nous lui avons porté de rudes coups, mais lui aussi nous a fait la vie dure, entraînant sans cesse ses hommes à l’attaque de nos garnisons, de nos colonnes, de nos convois, répandant sur notre compte de faux bruits dans les marchés, trouvant toujours des raisons pour exciter ses partisans, dès qu’il les sentait faiblir. Cependant, aujourd’hui, de nombreux indices font croire que notre vieil adversaire commence à perdre confiance. Sa famille ne serait pas une famille berbère, si elle n’était profondément divisée. Ses fils, ses neveux se haïssent de ces haines irréductibles qui, pour se satisfaire, n’hésitent pas à trahir les intérêts de la tribu. Déjà l’un de ses fils a fait sa soumission. Et peut-être le jour est-il proche où l’on verra le vieux roi de la montagne, le Zaïani lui-même, venir nous demander l’aman.


Mais un homme qui certainement ne fera jamais la paix avec nous, c’est ce Sidi Raho dont l’influence est autrement subtile et difficile à saisir. Il ne dispose point, comme le Zaïani, d’une force armée autour de lui : il est seul ou presque seul, mais un mot tombé de sa bouche peut rassembler autour de sa personne une foule de guerriers. Ce n’est pas non plus un marabout tenant d’une longue suite d’ancêtres le pouvoir