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des miracles, mais il est entouré d’un profond respect religieux. De quoi est faite cette force secrète, le charme mystérieux qui attire autour de lui les imaginations et les cœurs ?... On le représente comme un homme juste, désintéressé, d’une dignité parfaite, — qualités rares en tous lieux, et surtout dans ce pays de violence, où les passions s’opposent avec une brutalité primitive, — mais il y a évidemment autre chose dans l’attirance qu’il exerce, autre chose qu’il faudrait être soi-même un Berbère pour sentir. Il est de ces hommes dont on dit qu’ils ont le bonheur sur leurs épaules. Ils marchent, et on les suit ; ils parlent et on leur obéit. Quand ils meurent, on leur élève un tombeau, une petite koubba bien simple, dont la blancheur éclate comme une pensée rare dans l’aridité d’alentour ; et pendant des générations, les femmes viennent la prier, demander des enfants, se guérir de leurs maux, invoquer le génie toujours vivant dans ces pierres. Au fond de l’âme berbère, à côté de ce goût effréné de liberté qui aboutit à l’anarchie, il y a un profond besoin d’aimer, de suivre des individus puissants, qui va jusqu’à l’idolâtrie et qui explique que la seule, la vraie religion de ces gens, c’est l’adoration des morts dans lesquels ils ont reconnu ou cru voir de la grandeur.

Sidi Raho aura un jour sa koubba dans quelque endroit de la montagne. Déjà la vénération des femmes l’entoure, de son vivant, d’une atmosphère miraculeuse. Leur passion et leurs bavardages ont autant fait pour son prestige que pour le Zaïani les fusils de Moulay Hassan et les soldats d’Abd-el-Aziz, ce qui n’a rien pour surprendre, car de tout temps les femmes ont eu dans la société berbère une autorité morale, que la civilisation arabe leur a toujours refusée. La force de cet homme s’alimente de toutes les choses, — sentiments, pensées, usages, — que le Zaïani brutalise. Chez lui aucune cupidité ; nul grossier désir du pouvoir. Il est pauvre. Il y a dix ans, il possédait une kasbah près de l’endroit où nous avons construit le poste d’Anoceur ; il avait là des troupeaux, La kasbah, nous l’avons détruite. Dieu sait où sont allés ses moutons ! Sidi Raho est ruiné, mais il nous fait toujours la guerre. C’est un saint, un irréductible, une flamme, un de ces feux qu’on allume sur les sommets au moment du danger et qui rallient autour d’eux tous les gens des tribus ; c’est un brûlant appel aux armes, un accent passionné dont on retrouve l’écho dans ces poèmes