Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 50.djvu/569

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

aller au « grand moutier de Lorraine, » au seuil duquel Mgr Pelt, vicaire général, le reçoit. De sa voix incisive qui emplit un instant la nef, le chef de l’Etat répond : « Je vous remercie de vos paroles : j’en suis d’autant plus touché que je savais que le clergé messin a été au premier rang pour entretenir ici l’amour de notre patrie. » Et l’on s’avance dans la nef, vers l’autel, vers la tombe où dort l’évêque qui protesta toujours et ne désespéra jamais. Les (leurs du Président s’ajoutent sur cette tombe aux palmes qu’y déposa naguère le commissaire de la République. En sortant, une brave dame disait : « C’était aussi beau qu’un Te Deum »... Je le veux bien.

Ces jours sont faits de contrastes ; nos lecteurs le savent de reste. La foule lorraine est en éruption ; l’allégresse, — encore un miracle, — semble avoir pour un instant changé ce peuple dont j’ai dit que le sentiment est en profondeur ; le sentiment déborde ; il déborde en accolades, étreintes et baisers. « C’est quatre par quatre qu’elles m’embrassaient, » dira M. Georges Clemenceau. Le soir chacune faisait son compte : « J’ai embrassé, deux fois M. Clemenceau, trois fois le maréchal Foch. — Moi j’ai pu embrasser le maréchal Joffre. » « Nous avons assez longtemps pleuré, ont dit les Lorrains ; il faut bien rire. » Et tout est attachant ici : les larmes essuyées, le sourire qui s’épanouit. En quittant le général de Maud’huy, plus épanoui qu’homme au monde, le Président lui disait : « Je vous envie, général, de pouvoir rester ici. » Le Lorrain sentait, avant même que d’avoir quitté Metz, la nostalgie de la cité déjà étreindre son âme. Et cependant il courait vers l’Alsace.


« Le plébiscite est fait. L’Alsace s’est jetée en pleurant de joie au cou de sa mère retrouvée... »

Le Président de la République, debout sur le haut perron de l’Hôtel de Ville de Strasbourg, parle ; il parle de telle façon, que, parmi les trente mille personnes qui remplissent le Broglie, des milliers l’entendent, et tous croient l’entendre, puisqu’ils le voient tous, l’œil enflammé dans la figure toute pâle d’une émotion sacrée... Une page d’histoire admirable s’écrit ici, tandis que du haut de ce perron, les phrases d’une autre page d’histoire se disent, tracées en caractères de feu : rappel de ce que furent la France pour l’Alsace et l’Alsace pour la France,