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sa bonne ville de Colmar, le général de Castelnau, passe sur le front de la 20e division. Point de défilé militaire ; aucun n’eût surpassé celui que Colmar avait, le 22, vu parcourir ses rues. Mais devant l’estrade officielle, où la forte carrure « de notre Hansi » s’apercevait près de la soutane de l’abbé Wetterlé, Colmar lui aussi se veut offrir. Ce n’est pas le prodigieux cortège de Strasbourg ; non, mais une foule charmante de jeunes filles qui chantent. Elles chantaient d’une voix limpide et sentimentale, sur le rythme pur et simple d’un cantique, le célèbre morceau, complainte et défi : « Vous n’aurez pas l’Alsace et la Lorraine, » auquel un officier poète avait ajouté un couplet émouvant : « On avait pu germaniser la plaine. — Mais notre cœur ne t’oubliait jamais. »

Cantique modulé par des jeunes filles : « rengaine, » dira un sceptique et l’autre : « fadeur. » Oui, mais point du tout ici, en ce Colmar, qui fut par excellence la ville fidèle, où pas un instant l’espérance ne cessa de se nourrir de foi. Ces enfants qui chantent de tout leur cœur et les larmes aux yeux, ce sont les filles et petites-filles de ces robustes Français, qui, eux, n’ont pas une heure, même en apparence, cessé de protester ; ce sont les enfants des électeurs de Blumenthal, de Preiss, de Wetterlé. Quelle ville parmi les cités françaises peut avec plus de vérité célébrer la fidélité conservée ? Et de cette pure cantilène, exécutée par ces six ou sept cents petits papillons, se dégageait un charme si pénétrant, que nos présidents, la veille radieux et épanouis, s’attendrissaient visiblement de minute en minute jusqu’à ce que les larmes perlassent à leurs paupières.

Elles allaient jaillir au cours de cette scène émouvante, dont aucun spectateur n’oubliera la simple grandeur, à la préfecture de Colmar. Dans une courte et forte allocution que, d’une voix frémissante d’émotion, il venait de prononcer, le Président avait rappelé la protestation qu’au milieu de « la paix du cimetière, » le courageux Jacques Preiss avait portée à la tribune du Reichstag ; au moment où il quittait la préfecture, la fille du vaillant député de Colmar lui fut présentée. Tout Colmar, depuis doux ans, se répétait les paroles vengeresses et prophétiques prononcées, on s’en souvient, en face d’Allemands stupéfaits de tant d’audace, par la jeune fille devant le cercueil de son père, tué à petit feu par l’Allemagne, ce dernier martyr de la protestation française d’Alsace. « Des soldats français viendront