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qui vengeront mon père. « Le Président se tourna vers un groupe d’officiers. « Qui a une croix de guerre ? » dit-il. Hansi a presque prévenu la requête ; il tend sa croix. « Au nom du gouvernement de la République, au nom de la France, je vous décerne, mademoiselle, la croix de guerre pour la vaillance que vous avez montrée en présence de l’ennemi. Vous en êtes digne par vous-même, et par la mémoire de votre père. » La fin de cette noble déclaration se perdit dans un grand sanglot. Sur la poitrine de cette jeune fille, c’était l’Alsace entière, l’Alsace de la protestation constante, l’Alsace à l’inébranlable fidélité, qui recevait la nouvelle croix française ; et certes, cette Alsace qui, depuis quarante-huit ans, sur ce champ de bataille où aucune trêve n’avait été par elle consentie, avait tenu en échec l’ennemi héréditaire, méritait de porter la croix de bronze des rudes combattants de la grande lutte.

A Mulhouse, depuis cette heure inoubliable où j’avais vu entrer le général Hirschauer, les drapeaux n’avaient jamais quitté les fenêtres. J’avais naguère revu la ville toujours enveloppée de ses pavois. Les grands bourgeois exilés y rentraient les uns après les autres : la vieille République de Mulhouse voyait se repeupler les hôtels séquestrés, confisqués, un instant volés par l’Allemand aux descendants des grands citoyens républicains qui, en 1798, avaient, en un jour solennel, remis librement leur Etat libre entre les mains de la République française.

Un de ces grands bourgeois y reparaissait, doyen de la Chambre des députés français. Un Hirschauer, commandant d’armée, ayant, le 17 novembre, révélé, s’il en était besoin, à Mulhouse quelle place tenait dans les États-majors l’Alsace, même arrachée à notre communauté, un Jules Siegfried, ancien ministre de la République et depuis trente ans député, lui vient à son tour redire quelle place cette Alsace avait, même absente, dans les conseils de notre Etat. M. Paul Deschanel devait quelques jours après évoquer avec émotion l’incident : Jules Siegfried porté en triomphe dans sa ville natale.

Le Président y trouvait l’accueil que faisait prévoir l’admirable réception faite, on s’en souvient, le 17 novembre, aux troupes françaises. Un grand orgueil emplissait les cœurs ; tout un passé civique renaissait : cette grande cité qui, il y a cent vingt ans, s’était donnée à la France républicaine, retrouvait la France républicaine et l’acclamait. Dans son discours de